Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Le fantôme de Vidy

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2199 22 avril 2022

Décapité à Vidy il y a 299 ans, le major Daniel Abram Davel s’est offert aux Vaudois comme leur grand mythe national.

«Mythe avez-vous dit? la geste du major n’est-elle qu’une douteuse légende à raconter le soir aux enfants?» Précisément non, et là réside la différence entre la légende et le mythe. Du mythe, que sa véracité soit établie ou non, se tirent des leçons politiques, sinon institutionnelles. Davel mérite plus que le statut d’anecdote de carnotzet, et autorise des réflexions aussi profondes qu’inattendues.

Dans son Syndrome vaudois, Michel Thévoz avait vu en Davel l’agent d’une conspiration. Il aurait su cacher, même sous la torture, que son acte dépassait celui d’un individu isolé1. Ce «secret de famille à l’échelle cantonale» aurait fondé le mutisme des Vaudois. La décapitation de 1723 devient notre meurtre fondateur, créant notre psychisme profond. Ainsi se lançait la carrière d’un peuple inapte à l’expression de ses sentiments, avare de confessions et éternellement honteux de son indépendance.

Marcel Regamey, en 1936, donnant une conférence à la Section vaudoise de Zofingue2, tirait de l’aventure davélienne une leçon fondamentale sur l’articulation entre la fin et les moyens: «Davel est plus une victime qu’un héros. Sa tentative était vouée à l’échec dès le début. On demeure stupéfait que Davel ait méconnu à ce point l’état politique du pays.» Le jugement de notre fondateur est sans appel: «Il faut être franc: jusqu’à son arrestation, Davel paraît accumuler les erreurs et les fautes. Absurdes d’un point de vue politique et militaire, ses actes sont incompréhensibles d’un point de vue moral.» Plus d’une fois, nous avons refusé une initiative constitutionnelle nous semblant aller dans le bon sens, mais paraissant concrètement inapplicable.

La controverse récemment lancée par les Verts sur la réhabilitation de Davel n’est pas encore close. En cherchant à faire du major une figure de la désobéissance civile, la gauche veut l’asservir à sa cause et tirer parti de l’agenda commémoratif. Sa lecture du mythe est non seulement partielle, mais ignore surtout que la réhabilitation a déjà eu lieu. Davel n’a-t-il pas sa statue au Château? Nul besoin pour cela d’entraîner le Tribunal des Bourgeois de la Rue de Bourg – auteur de la condamnation de 1723 – dans le sillage de l’acquittement raté des grévistes du climat. Encore moins de forcer le Grand Conseil à une solennelle et provinciale déclaration qui donnerait un argument supplémentaire aux avocats des zadistes.

Enfin, que dire de la condamnation lausannoise elle-même? Elle démontre qu’il manque dans nos bibliothèques une grande histoire des relations entre Lausanne et le reste du Canton.

Le mythe de Davel rappelle aux Vaudois la nécessité du combat pour leurs libertés. Il leur susurre aussi à l’oreille combien ils sont trop prompts à l’abandonner, par respect de l’autorité et amour de l’Etat. Cela est déjà énorme. Mais l’imperfection fondamentale de son coup d’Etat nous interdit de faire du Major un demi-dieu. En cela Davel est bien loin de Jeanne d’Arc ou de Romulus. Il fonde un mythe à notre mesure et interdit d’en tirer une idéologie.

L’une des forces de l’aventure de Davel est d’être parfaitement documentée. Cela a l’avantage de rapidement écarter la question de la véracité des faits. Elle trouble suffisamment les mythes fédéraux, de Guillaume Tell à Sempach. Reconnaissons que cela retire à la gauche sa première ligne de défense contre ce qu’elle désignera trop rapidement comme des légendes nationalistes. Généralement, elle oublie du même coup qu’elle a ses propres mythes, au premier chef desquels les grèves générales et leurs incantations antimilitaristes.

Ne reste donc plus aux «casseurs de mythes» que de réécrire l’histoire de l’histoire du mythe. Cela n’est, en soi, pas dérangeant et réalise une occasion d’approfondir et transmettre l’histoire du Canton. Juste Olivier et Charles Gleyre ont façonné notre image d’un Davel romanesque. Que le tableau de l’Hôtel de Ville fût incendié en 1980 en a rajouté au tragique. Laissons donc de nouvelles strates s’empiler.

Dans une année s’ouvriront les manifestations du 300e anniversaire de la décapitation. Pour l’occasion fleuriront en Pays de Vaud de nombreuses manifestations publiques. Leurs préparatifs ont déjà commencé. Du haut de son échafaud, Davel n’en finit pas de nous exhorter.

Notes:

1  Thévoz Michel, Le syndrome vaudois, Lausanne 2002.

2  Regamey Marcel, «Davel», in Cahiers de la renaissance vaudoise n° 17, Lausanne 1936.

 

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: