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L’universitaire et le Pays imaginaire

David Verdan
La Nation n° 2199 22 avril 2022

En digne représentant de la caste intellectuelle, l’homo academicus a ceci de caractéristique qu’il passe généralement plus de temps à manipuler des idées que des marteaux ou des faucilles. Chez un esprit solidement enraciné dans sa terre, sa culture et sa foi, cette spécialisation de l’intellect permet de remarquables prouesses d’inspiration. Le rapport au réel, au passé et au sacré veille à cadrer les réflexions, voire à les corriger si celles-ci s’égarent par trop d’abstraction.

À l’inverse, privé de ce triple ancrage – environnemental, culturel et spirituel –, le chercheur universitaire finit par élaborer des théories si abstraites qu’elles en deviennent complètement folles. Coupé de son environnement, mais aussi de son corps, cet être semi-éthéré peut alors pousser ses élucubrations jusqu’à nier la différence entre les sexes. Et pour cause! Evoluant dans un milieu aseptisé fait de safespace, d’atmosphère conditionnée et de cyborgs sous contraceptifs hormonaux, il ne sent et ne ressent plus rien: ni odeur, ni hormone, ni phéromone.

Sûr de sa science, il croit connaître le monde au travers de son écran et de revues à comité de lecture… composé d’individus aussi aliénés que lui. De fait, l’étendue de son savoir est aussi vaste que vide. Il palabre, pérore et disserte dans un langage technicien froid et mécanique. Coincé dans son monde d’idées, il ne peut plus voir la réalité telle qu’elle se présente habituellement à l’homme qui y vit et s’y confronte; l’homme qui, par son travail ou son mode de vie, n’a pas d’autre choix que de vivre dans et avec une nature sur laquelle il n’a pas prise, mais avec laquelle il est en relation et en lutte.

«Et alors?» dira-t-on. «Pourquoi ne pas laisser ces jeunes cerveaux naviguer d’abstraction en abstraction? Ça leur passera en quittant l’université, lorsqu’ils se confronteront au monde réel…» Eh bien, si cette sentence pouvait être vraie il y a encore vingt ans, ce n’est plus le cas depuis la multiplication, dans l’administration publique comme dans les entreprises privées, de commissions dédiées à l’égalité, à la diversité, à la durabilité, etc., qui permettent aux étudiants échauffés de prolonger leur croisade et de diffuser leur conception du meilleur des mondes à l’ensemble de la société. Les conséquences de cette dérive se font d’ailleurs déjà ressentir dans bon nombre de domaines professionnels du monde occidental1.

Mais ce qui est peut-être plus grave encore, c’est que l’universitaire «éveillé», comme tout bon idéologue, ne se contente pas d’élaborer des théories déconnectées de la réalité, il cherche également à plier cette dernière à l’idée qu’il s’en fait. Et c’est ici que les dégâts commencent, car si nous ne devions retenir qu’une seule leçon de l’histoire du siècle passé, c’est l’aspect terriblement destructeur des projets idéologiques imposés par des intellectuels incapables de se remettre en question; le facteur humain étant systématiquement considéré comme l’élément perturbateur à corriger.2

Serait-ce dès lors exagéré de supposer que le remplacement progressif de nos élus, jadis largement représentés par des hommes reliés au réel (agriculteurs, entrepreneurs, militaires, etc.), par des académiciens naviguant dans un pays imaginaire ne présage rien de bon pour l’avenir de notre Pays bien réel?

Notes:

1  Sur ce sujet: Bradley Campbell et Jason Manning, The Rise of Victimhood Culture. Microaggressions, SafeSpaces, and the New Culture Wars, Palgrave Macmillan, 2018.

2  C’est précisément ce que vivent les enseignants de l’école vaudoise avec «le projet 360» qui, dans la pratique – c’est-à-dire, au-delà des PowerPoint colorés du département –, est une véritable usine à gaz, mais dont les tares sont systématiquement imputées aux professionnels du terrain qui seraient «incapables d’intégrer le changement».

 

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