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Tout n’est pas perdu

Jacques Perrin
La Nation n° 2199 22 avril 2022

Dans nos médias romands chéris, chercheurs et chercheuses, politologues, éthiciens ou coachs produisent parfois des phrases surprenantes: «J’aimerais votre opinion sur à quel point la Suisse a changé durant la pandémie» ou «L’Etat ne va pas s’ingérer dans la famille pour savoir qu’est-ce qui se passe en matière de sensibilisation à la citoyenneté» ou «La bioéthique est la science de comment bien faire en médecine et dans les sciences de la vie». L’interrogation indirecte semble une entreprise risquée pour des individus bardés de diplômes.

La grammaire n’a pas bonne presse.

Elle impose des règles. Fort peu inclusive, elle discrimine ceux qui les violent. La répétition intensive et quelques sacrifices en matière de loisirs sont requis, ce dont notre société a horreur, à moins qu’ils ne soient imposés à des pianistes, des danseurs ou des sportifs de haut niveau.

L’enseignement de la grammaire a donc été négligé dans nos écoles quand les réformes se sont succédé au début des années huitante, accompagnées de brochures aussi scientifiques et innovantes qu’inutilisables. Rien de solide ne se construisait plus. Chaque maître de français se débrouillait pour transmettre ce qui lui semblait bon.

Les résultats de cette perte de rigueur se manifestent de nos jours dans les médias où l’on discute, les journaux, tels 24 heures et Le Temps, étant plus ou moins épargnés.

Pourtant on pourrait envisager une amélioration. Avant de prendre notre retraite de l’enseignement, nous disposions depuis une année du manuel TEXTE et LANGUE, aide-mémoire, savoirs grammaticaux et ressources théoriques pour les élèves du cycle 3 (c’est-à-dire les enfants de 13 à 15 ans de l’école obligatoire des cantons romands), dont les auteurs sont le Genevois Pierre-Alain Balma et le Valaisan Philippe Roduit.

Cet ouvrage bien conçu et systématique, d’une présentation agréable, part du texte concret pour aller à la phrase et au mot, puis revient au texte. Les parents, ou plutôt les grands-parents, pourraient l’utiliser sans que la terminologie choisie ne les déroute. Le prédicat apparaît, les espèces deviennent classes, le complément d’objet indirect se dit complément du verbe indirect, la coordination s’appelle enchaînement: rien de bien méchant. La phrase de base est clairement définie et ses transformations possibles sont exposées en détail. L’élève de 15 ans qui maîtriserait le contenu de l’ouvrage aurait un bagage suffisant pour comprendre et écrire des textes de qualité, sans avoir été soumis à un jargon indigeste. Il distinguerait les registres de langue (soutenu et littéraire, courant, familier, argot, verlan). Il saurait analyser et élaborer un récit. Il accorderait les participes passés correctement (même ceux des verbes pronominaux), utiliserait habilement les temps et les modes (même l’indicatif avec après que…), reconnaîtrait même le subjonctif imparfait, distinguerait les diverses subordonnées et  comprendrait leur sens, formerait correctement les relatives et les… interrogatives indirectes, disposerait des premières notions de rhétorique, saurait discerner les figures de style essentielles et ferait bon usage du dictionnaire.

Il est à noter qu’il n’est pas systématiquement tenu compte dans le livre des nouvelles graphies proposées dans la brochure Les rectifications de l’orthographe du français de 1999, et qu’aucun chapitre n’est consacré à l’écriture inclusive.

Bref, un livre de grammaire sensé est à disposition des maîtres.  Il profitera à tous si trois conditions sont remplies. Les jeunes enseignants devront y être formés avec persévérance car certains d’entre eux, victimes des errements des trois dernières décennies, dominent mal les bases de l’orthographe et de la grammaire. Une augmentation des périodes de français à tous les niveaux de l’enseignement sera la bienvenue. Sans étude approfondie de la langue maternelle et des mathématiques, personne ne sait lire, écrire et compter; l’école ne remplit pas sa mission principale. Enfin, il ne faut pas craindre ­– n’en déplaise aux partisans du ludique en toutes choses – d’exercer inlassablement les notions acquises, comme le font les gens de métier, les artisans, les artistes et les sportifs désirant atteindre une certaine perfection.

Alors nous n’entendrons plus cette phrase horrible: «Les enfants s’occupent de savoir si est-ce qu’on est triste quand on est seul».

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