Un peu de lumière, s’il vous plaît
Il est certain que des esprits très distingués ont traité des rapports que la musique entretient avec les textes qu’elle est censée mettre en valeur, qu’il s’agisse d’opéras, de messes, de cantates, de cantiques, de chansons, etc… Ma réflexion ne va pas jusque-là, elle se limite à ceci: faut-il comprendre les paroles d’un texte chanté? Est-il nécessaire de les comprendre? Sinon, que faut-il penser d’une œuvre dont le texte est occulté par la musique?
En matière d’opéras, une première réponse à cette question nous est proposée, de manière très positive, par la projection des dialogues, parfaitement lisibles, de quelque endroit de la salle. Au Grand Théâtre du Liceu de Barcelone, chaque place dispose même de son propre écran qui, de plus, offre le choix des langues. On n’arrête pas le progrès, heureusement. Wagner, comme chacun sait, a écrit lui-même les livrets de ses œuvres, et il l’a fait de telle manière qu’un spectateur germanophone puisse comprendre ce qui se passe… jusqu’à la mort d’Yseult. Cette conception du drame postule évidemment le recours à des artistes de première force. Voilà pour l’opéra.
Reste l’immense, l’insondable répertoire de huit siècles de musique religieuse. La Cathédrale est toujours pleine quand un oratorio est à l’affiche. Mais à l’exception des Passions, dont on peut supposer que fidèles et même infidèles connaissent leur évangile (il y a pourtant des aria: le génie de Bach supplée heureusement à l’incompréhension du texte), presque toutes les œuvres ne nous séduisent que par la musique, étant entendu (si j’ose dire) que l’on n’ignore pas qu’il s’agit d’une messe, ou d’un requiem, ou d’une cantate; la connaissance du texte ne va guère plus loin.
Et voilà que retentit le Dies irae du Requiem de Verdi… peurs, angoisse, tremblements, épouvante sacrée! Je vous le demande: ignorer le texte (qu’on a pourtant sous les yeux, en français) n’est-ce pas comme si l’on côtoyait innocemment un gouffre, un précipice, un abîme, les yeux fermés? Peu importe, dira-t-on peut-être: il suffit d’être en quelque sorte submergé par les vagues de l’orchestre et des chœurs. N’importe quel mécréant même serait touché… Pas sûr. Que l’œuvre nous conduise en enfer, ou au contraire au paradis, est-il indifférent qu’on l’ignore?
Et puis il y a les cantiques, chaque dimanche à l’église. Je défie quiconque de distinguer à l’oreille les paroles de la plupart des cantiques; en fait c’est l’orgue qui assure sa structure aux voix pieuses qui heureusement peuvent compter sur lui. On ne me pardonnera pas de révéler ici jusqu’où peut aller l’ignorance du texte de certains cantiques. N’a-t-on pas chanté dans tel psautier (je n’invente rien):
Heureux, quand sous les coups de ta verge fidèle, d’amour battu je souffre avec amour.
Mais je m’égare. Revenons à notre sujet.
Nous sommes plus sensibles à la mélodie qu’au texte. Néanmoins, tant du point de vue liturgique que du point de vue de la prière personnelle, le texte ne peut pas, ne doit pas être ignoré. Le succès des chants de Taizé est dû ainsi non seulement à la force de son message, mais aux mélodies, simples et répétitives, de Jacques Berthier, dont des milliers et des milliers de jeunes connaissent les paroles par cœur, aussi bien en latin qu’en néerlandais.
Le problème, c’est que, le plus souvent, il n’y a pas assez de lumière pour que l’on puisse lire. S’il vous prend la fantaisie d’utiliser la lumière de votre portable, votre voisin vous fera immédiatement sentir par un mauvais regard de biais, que cela le dérange. Par exemple on aimerait bien pouvoir suivre les textes des délicieuses Histoires naturelles de Jules Renard dans la version de Maurice Ravel, malheureusement orchestrées par je ne sais plus qui, comme elles nous ont été chantées récemment au Métropole. Malgré la qualité incontestable du baryton, le Cygne de Renard plongeait incompréhensiblement sous l’eau de l’orchestre… sauf si l’on pouvait lire les strophes.
S’il vous plaît, un peu de lumière, pour que nous puissions suivre sur le papier le texte chanté! C’est le moins que l’on puisse demander aux organisateurs de concerts, et plus encore, à ces irremplaçables sociétés chorales à qui nous devons pourtant tant de splendeurs musicales dans tout notre pays.
P.S.: Et voilà que Les Goûts Réunis – qui depuis tant d’années nous offrent des concerts de musique ancienne de si grande qualité – viennent sans le savoir de répondre à ma requête en remettant à leur public l’intégralité des textes, en allemand et en français, des airs de cantates de J.-S. Bach, transcrits pour voix et orgue par Marc Meisel, lors du remarquable concert du 4 mars dernier à l’Eglise de Villamont, bien éclairée! Un exemple à suivre.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Nous fédéralistes – Editorial, Félicien Monnier
- Les ordonnances discrétionnaires du Conseil fédéral – Jean-François Cavin
- L’éducation numérique dans le Canton de Vaud – Jean-François Pasche
- Compositeurs d’ici – Jean-François Cavin
- L’expérience, lumière ou boulet? – Olivier Delacrétaz
- L’Etat vit largement – Jean-François Cavin
- Une nouvelle religion? – Jacques Perrin
- Chars Leopard: des réserves sur les réserves – Edouard Hediger
- La Suisse est neutre! – Le Coin du Ronchon