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Deux mille deux cent trente-huit – ou La Nation sur Scriptorium

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2238 20 octobre 2023

Le moteur de recherche électronique des périodiques vaudois Scriptorium1 qu’héberge la Bibliothèque cantonale est une mine d’or historique, culturelle et politique. La Nation y est désormais consultable avec deux ans de retard sur notre propre calendrier.

Scriptorium permet de remonter l’histoire du journalisme vaudois jusqu’au XVIIIe siècle. On y retrouve pêle-mêle les premiers exemplaires de la Feuille d’Avis de Lausanne (futur 24 heures) de 1762 et trois gazettes suisses d’Ancien régime; ou encore une collection impressionnante de quarante-cinq journaux satiriques vaudois, qui ne tirèrent parfois qu’à un seul numéro. Leurs noms sont aussi évocateurs que «Le Charivari», «Gribouille et Redzipet» ou le «Canard rit». Ils témoignent d’une propension des Vaudois à la moquerie politique dont un ravivement ferait le plus grand bien à notre opinion publique.

S’il manque la presse d’extrême-gauche, la presse socialiste y est bien représentée, avec des titres comme Le Grutléen ou le regretté Domaine public. Les radicaux pourront estimer leur dégringolade que marqua la disparition, après 22’815 numéros, de la «Revue» et de tout l’univers qui l’accompagnait: la Revue agricole, La Petite Revue ou La Revue dimanche. Les européanistes à la vaudoise exerceront leur sens de la contrition en relisant L’Hebdo.

Cependant, au-delà des richesses qu’offre Scriptorium, il est surtout le témoin de l’effrayant assèchement du journalisme en Pays de Vaud. L’immense majorité des titres qui y sont offerts ont disparu. Cela est particulièrement saisissant pour la presse locale. On se remémore ces feuilles régionales – le Journal de Cossonay, le Journal de Rolle, la Feuille d’Avis d’Orbe, le Journal du district d’Avenches – qui atteignirent chacune plusieurs milliers de numéros et dans lesquelles nos tantes de la campagne faisaient leurs mots croisés penchées sur la toile cirée de la cuisine.

Et La Nation dans ce paysage médiatique? Au milieu de tant de titres autrefois révérés (à tort ou à raison) mais aujourd’hui disparus (pour le pire ou le meilleur), La Nation tient bon.

Nous avons accepté la proposition de la Bibliothèque cantonale de figurer dans Scriptorium au nom d’une conception bien spécifique du Canton et de son histoire. Cette dernière n’est pas un objet monolithique qui ne s’observerait que depuis le cabinet d’un érudit. L’histoire continue d’influencer nos actes et notre vision des choses comme un écho permanent.

Scriptorium facilitera des lectures thématiques de notre journal et ouvrira des champs de recherches. Les nécrologies d’écrivains de l’après-guerre: Ramuz2, Maurras3, Camus4, révèlent les passions littéraires de nos fondateurs. Ou encore: à quand une étude intitulée «La Nation dans la Guerre froide»? Elle se pencherait sur le traitement de l’affaire de Suez, rappellerait Bertil Galland assistant aux conférences de presse du président Eisenhower avec son accréditation au nom de La Nation, et décrirait les réactions suscitées par l’érection du mur de Berlin comme autant d’éclairages possibles des bouleversements que nous vivons nous-mêmes depuis quelques années.

Les grands combats de la Ligue vaudoise: contre l’impôt fédéral sur les vins (1933), pour le retour à la démocratie directe (1949), contre la révision complète de Constitution fédérale (1984), contre Ecole vaudoise en mutation (1996), contre la nouvelle Constitution cantonale (2002), pour l’obligation de servir (2013), composent des jalons de l’histoire de notre mouvement autant que de celles du Canton et de la Suisse.

Chaque article manifeste et présuppose des liens personnels, entre les rédacteurs en chef, entre les présidents, entre les rédacteurs eux-mêmes. Puis il y a des liens externes. Entre un rédacteur et ce député, ce professeur ou cet artiste qui lui a donné une idée ou un tuyau. Notre doctrine, à son tour, nous relie autant à nos adversaires qu’à nos références. Avec un seul regret, qu’un réel débat ne s’engage jamais vraiment dans la durée avec les personnes dont nous prenons la peine de lire et de critiquer les œuvres. Sans doute s’agit-il d’une autre preuve de l’assèchement du journalisme en Pays de Vaud.

La Nation paraît chaque deux semaines, mais sa production exige un effort constant. De l’identification des sujets à traiter au dernier coup de fil à l’imprimeur – le mercredi entre 11h15 et midi.

Fabriquer La Nation, comme sortir un livre, revient à donner à des idées de se fixer en un objet. La matérialité du monde, et donc sa tangibilité, nous tient particulièrement à cœur et cajole notre réalisme philosophique. Nous exagérerons à peine en affirmant que l’activité éditoriale illustre le principe de l’unité entre le corps et l’âme. La Nation doit rester ce journal que l’on peut oublier sur une banquette de train, un siège de conseiller d’Etat ou un fauteuil d’auditoire. Elle doit, autant que possible, incarner le Pays dans sa réalité physique.

Nous sommes fiers de vous présenter son 2’238e numéro.

 

Notes:

1 https://www.scriptorium.bcu-lausanne.ch/

2 Marcel Regamey, «C.-F. Ramuz», La Nation n° 246, du 29 mai 1947.

3 Marcel Regamey, «Adieu à Charles Maurras», La Nation n° 390, du 20 novembre 1952.

4 Alexandre Bonnard, «Albert Camus», La Nation n° 577, du 21 janvier 1960.

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