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Zones

Cédric CossyEditorial
La Nation n° 2248 8 mars 2024

Armand a décroché un bon poste dans une entreprise de la zone industrielle et artisanale d’Aclens (557 habitants / 1708 places de travail1). Malheureusement, ses finances ne lui permettent pas d’accéder à un logement décent dans une des charmantes communes des hauts de Morges. Il a donc acquis à bon prix une villa mitoyenne dans la nouvelle zone résidentielle de Vuarrens (1106 habitants /108 places de travail).

Armand découvre les joies du pendulaire: l’aller-retour entre son domicile et son lieu de travail représente 50 kilomètres en automobile. Fervent défenseur de la durabilité, il a testé les transports publics, mais près de deux heures de déplacement porte à porte, avec deux changements de mode de transport, ont eu raison de ses bonnes intentions: il supporte avec une zénitude toute relative les bouchons systématiques qui égaient ses déplacements, et se console en imaginant l’enfer routier vécu par son collègue frontalier.

L’épicerie de Vuarrens ayant fermé il y a deux ans, la voiture reste bien pratique pour faire ses achats. Armand évite la zone commerciale de Crissier, au trafic toujours saturé, et lui préfère, malgré un détour de 15 kilomètres, celle plus accessible de En Chamard, à l’ouest d’Yverdon. Disposer de son propre véhicule lui permet aussi de monter à midi à Aclens village pour déguster l’assiette du jour à La Charrue. Et la voiture reste le seul moyen pour aller taper la balle le jeudi en fin de journée avec ses collègues sur un court de padel à Romanel-sur-Lausanne (bouchons garantis sur les 10 kilomètres de trajet).

Le quotidien d’Armand est celui d’une majorité de Vaudois: leur lieu de travail et leur domicile sont en moyenne séparés de 17 kilomètres. En 2021, 270’000 personnes (71% de la population active du Canton) occupaient un emploi hors de leur commune de domicile. Ce nombre était encore de 213’000 (64% des actifs) au début du siècle. L’Office fédéral de la statistique2 recense depuis l’an 2000 une hausse de 34% du parc automobile suisse, avalant 40% de kilomètres en plus, alors que la population n’a augmenté que de 20% durant la même période. Très concrètement pour Armand, le nombre quotidien de véhicules sur l’A1 à hauteur de Mex a augmenté de 80% en 20 ans.

Les principes de l’aménagement du territoire ont conduit à l’éclatement géographique des lieux de vie: logement, travail, commerces et loisirs se retrouvent localisés à plusieurs kilomètres les uns des autres. La multiplicité de ces pôles fait que les besoins de mobilité de chaque individu sont uniques et ne peuvent être couverts par aucun réseau de transports publics, aussi parfait soit-il. Le souci de préserver le paysage et d’éviter son mitage est donc paradoxalement la cause de l’explosion de la mobilité individuelle.

Des esprits malins ont proposé un échelonnement des horaires des pendulaires pour couper les pointes de fréquentation. Cette solution est éventuellement adaptable pour le secteur tertiaire, pour autant que l’on trouve assez de lève-tôt disposés à quitter leur lit avant 5h du matin et assez de solitaires renonçant à un pan de vie sociale pour travailler le soir. Elle n’est en revanche pas applicable aux activités du secondaire, où le travail physique en équipes est incontournable. Et un tel dispositif ne fera que retarder de quelques années l’inéluctable engorgement général des routes et des trains.

Pour revenir à l’exemple d’Aclens, on peut estimer à 1200 le nombre de personnes qui s’y rendent quotidiennement pour leur travail. Le campus de bureau «Cocoon» en construction à Bussigny amènera 3000 nouveaux pendulaires3 dans les environs. A l’autre extrémité du rapport habitants/emplois, Froideville voit environ 1300 personnes (l’équivalent de 15 bus bondés) quitter la commune chaque jour pour se rendre au travail.

Une première solution passe par la multiplication et l’élargissement des axes routiers, ce qui améliorera l’inévitable mobilité individuelle. Le récent aboutissement du référendum fédéral contre la troisième voie sur huit tronçons autoroutiers montre que ce n’est pas l’option préférée de tous les Suisses.

Une seconde solution est de revenir à un aménagement territorial mélangé et non plus zonifié. La construction de nouveaux bureaux devrait systématiquement être accompagnée de celles de logements, d’écoles et de commerces de première nécessité. A l’inverse, les communes-dortoirs se doivent de développer des zones artisanales susceptibles d’offrir des emplois pour leurs habitants. Les localités de plus de 2000 âmes se battront pour maintenir ou rétablir des commerces de proximité et une infrastructure scolaire.

Le projet lausannois Métamorphose tente précisément de regrouper ces lieux de vie. L’écoquartier des Plaines-du-Loup est donc un laboratoire propice à l’étude de l’évolution des modes de vie et de la mobilité. Mais l’évaluation et la possible copie améliorée dans d’autres lieux du Canton prendront des années. Entre-temps, l’amélioration du réseau routier semble inévitable pour éviter la paralysie.

Notes:

1      Sans indication contraire, les données statistiques sont tirées de l’Atlas statistique du Canton de Vaud, https://cartostat.vd.ch/#c=home

2   https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports.html

3     «L’agglo Lausanne-Morges assoiffée de bureaux», 24heures du 8 février 2024.

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