Nicolas de Staël en majesté à la Fondation de l’Hermitage
On ne peut pas mal faire avec les grands. Ils tiennent la route sans qu’on ait besoin de les orienter, de les façonner à sa vision propre, de leur faire dire quoi que ce soit. Ils sont et cela vaut déjà le déplacement. D’ailleurs, pour ce géant-ci, c’est l’Hermitage qui a été contraint de se plier en quatre. En effet, une fois n’est pas coutume, on ne commence pas le parcours de visite au rez. L’exposition est en effet reprise du Musée d’art moderne de Paris et ses sections aussi. Il y avait donc un déroulé qui ne rentrait pas dans le rythme habituel, trois salles au rez, puis à l’étage avant de finir – parfois en fanfare – au sous-sol. Il faut démarrer tout en bas et remonter vers la lumière. Au moins, il y a un vrai sens symbolique. Les sections sont hachées mais épatantes, quelques balbutiements figuratifs et voilà des grands moments abstraits, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par périodes de trois quatre ans. D’abord, c’est arachnéen, dense, structuré à coup de petits bâtonnets, puis viennent les gros blocs, pesamment accolés, concentrés, d’une épaisseur de maçon, avec des champs colorés qui sont dans des tons subtils, gris et vert, relevés de rose ou avec des strates sous-jacentes qui sourdent dans les interstices. Enfin, on bascule dans un univers rythmique, les blocs y sont toujours aussi épais mais ils offrent des élans saccadés, des jaillissements structurés, des bouquets. On remonte alors d’un étage, puis on est dérouté. Alors qu’on a bien vu se condenser et se spécifier un langage radicalement abstrait, on reconnaît à nouveau le monde derrière ces formes et ces couleurs qui semblent appliquées à la truelle. Nos yeux s’écarquillent. On découvre des joueurs de football, des bouquets, des paysages, simplement articulés dans un langage inouï.
Il faut monter au premier pour arriver au point d’orgue: le départ pour le sud, particulièrement la Sicile, a valu au peintre des paysages enflammés. Ses couleurs sont renversantes et on se plaît à découvrir qu’il a besoin de moins en moins de couches de peinture. Il se passe du sous-jacent, il est moins dans l’épaisseur, il laisse même un peu de toile apparaître entre les formes. C’est plus léger tout en gagnant en force. L’exposition se termine avec des œuvres étranges, fortement figuratives, des natures-mortes et une nuée de mouettes. Sous les combles de l’Hermitage, un film inédit nous reformule cette histoire tragique. Un Russe blanc, ayant fui la Révolution et perdu ses parents, élevé bourgeoisement par une famille d’accueil en Belgique. Légionnaire, puis Français après la drôle de guerre. Il perd une première femme, fonde une seconde famille, s’éprend enfin d’une dernière muse et se suicide à 41 ans. Entre-temps, il avait fait une œuvre éternelle qu’il avait commencé à vendre assez bien internationalement.
Note:
A voir jusqu’au 9 juin 2024 à la Fondation de l’Hermitage, Route du Signal 2, Lausanne.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Zones – Editorial, Cédric Cossy
- Oui à des impôts équitables pour les couples mariés – Olivier Klunge
- Prévention… quand tu nous gouvernes – Jean-Hugues Busslinger
- Voyage dans les archives cantonales – Colin Schmutz
- Notre neutralité – Jean-Blaise Rochat
- Le déchaînement du désordre – Olivier Delacrétaz
- Ivre de joie? C’est interdit! – Jean-François Cavin
- Réinventez-vous! – Jacques Perrin
- L’espace public appartient à tous – Jean-François Cavin
- Une fois NON et une fois OUI – Le Coin du Ronchon