Prévention… quand tu nous gouvernes
On voit fleurir sur nos écrans, non seulement ceux de la télévision mais aussi sur le site internet de la Confédération, une kyrielle de mises en garde, d’injonctions amicales, de recommandations diverses et variées destinées à nous inciter (en tant que consommateurs) à adopter tel ou tel comportement.
On connaît bien dorénavant les slogans «manger – bouger», «cinq fruits et légumes par jour» et on a même vu apparaître en France, à destination des enfants, «pour bien grandir, ne mange pas trop gras, trop sucré, trop salé». Ceci sans oublier, à chaque début d’été, les recommandations de boire suffisamment car la canicule menace, celles de se déplacer à pied plutôt qu’en voiture, de réduire sa consommation de viande, voire plus récemment à limiter son temps devant un écran (!).
Information alimentaire biaisée?
L’information aux consommateurs en Suisse se base sur la «pyramide alimentaire suisse»1 que l’on peut consulter sur le site de l’OSAV (Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires). Ses bases scientifiques sont publiées en anglais. Cependant, pour venir en aide au consommateur démuni, la simplification est de rigueur et on a recours depuis peu à l’étiquetage de l’alimentation sous forme de code-couleurs, mieux connu sous le nom de Nutri-Score, auquel s’est intéressée la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des Etats. Dans une motion, adoptée par le Conseil des Etats l’an dernier et traitée ce printemps au Conseil national, ladite commission constatait que les systèmes d’évaluation sont certes dans l’air du temps mais sont aussi réducteurs, leur paramétrage n’étant pas exempt de critiques. «Cette tâche, laissée au bon vouloir des milieux spécialisés et de l’administration, débouche sur l’adoption de «normes reconnues»». Or, le Nutri-Score – qui se présente sous forme d’un code regroupant lettres (de A le meilleur à E le pire) et couleurs (de vert foncé à rouge vif) – aboutit parfois à la conclusion que des produits fortement transformés sont mieux notés que des produits naturels. La commission militait pour que les informations en matière de nutrition transmises par la Confédération restent fondées sur la pyramide alimentaire et non sur le Nutri-Score. Ce dernier, qui se fonde sur un algorithme, reste une information facultative; il est utilisé librement par les entreprises mais selon les conditions de Santé Publique France, propriétaire de la marque.
Si l’on ne peut qu’encourager l’utilisation et la diffusion d’informations nutritionnelles les plus objectives possible, et si la prise de conscience du fait que prévenir vaut mieux que guérir est d’importance, la pratique décrite ci-dessus ne laisse pas d’interpeller à plus d’un titre.
Des messages qui laissent songeur
Tout d’abord, on doit constater, pour le déplorer, que les messages de prévention, loin de faire appel à la seule raison de leur destinataire, tombent dans l’émotionnel et pèchent par excès de dramatisation. Les conséquences d’une non-obéissance sont souvent exacerbées, les messages qui se veulent choc ne sont pas rares. En outre, le ton trop souvent moralisateur ajoute à l’exaspération. C’est faire peu de cas de l’intelligence des récipiendaires. Ensuite, on doit constater, comme le souligne la motion, que simplification excessive n’est pas raison et a pour effet, bien souvent, des conséquences indésirables. Ainsi, le beurre de table présente un Nutri-Score E rouge, soit le pire. Mais à qui viendrait-il à l’esprit d’avaler une plaque de beurre comme un cookie végane? Certains éléments ne sont pas pris en considération (valeur des protéines, teneur en vitamines, ratio entre acides gras saturés et insaturés etc.) car seule semble pertinente la «réductio ad oleum», soit le nombre de calories.
En outre, l’adoption par une autorité fédérale d’un étiquetage – qui demeure certes facultatif pour les entreprises de production – élaboré par Santé Publique France et sa participation active par l’entremise de l’OSAV au comité de pilotage de la marque interpelle. On se trouve ici encore dans une forme de «soft law» qui ne dit pas son nom (entendez «réglementation souple») où l’administration développe des recommandations sur la base d’études scientifiques, complétées par un étiquetage non contraignant mais dont on sait que certaines organisations condamneront l’absence dans un futur proche. Tout cela en dessous du radar politique. C’est ouvrir grand la porte aux groupes de pression – et l’on sait que, dans le domaine, il n’en manque pas – pour aboutir à l’ostracisation de certains produits ou modes d’alimentation, avec le blanc-seing de l’administration fédérale.
Notes:
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Zones – Editorial, Cédric Cossy
- Oui à des impôts équitables pour les couples mariés – Olivier Klunge
- Voyage dans les archives cantonales – Colin Schmutz
- Notre neutralité – Jean-Blaise Rochat
- Le déchaînement du désordre – Olivier Delacrétaz
- Nicolas de Staël en majesté à la Fondation de l’Hermitage – Yves Guignard
- Ivre de joie? C’est interdit! – Jean-François Cavin
- Réinventez-vous! – Jacques Perrin
- L’espace public appartient à tous – Jean-François Cavin
- Une fois NON et une fois OUI – Le Coin du Ronchon