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Vaincre la peur

Jean-François Cavin
La Nation n° 2254 31 mai 2024

Le monde occidental sombre dans l’angoisse. Depuis le début de cette décennie, il y a de quoi. Une pandémie sans exemple depuis plus d’un siècle a rappelé notre fragilité. Des guerres pas très lointaines et qui, nolens volens, concernent peu ou prou nos pays font couler le sang et bouleversent la géopolitique. La plupart des grands Etats sont mal gouvernés ou en proie à un populisme tapageur et nocif. L’intelligence artificielle supplantera l’esprit humain et se retournera peut-être même contre son créateur. Et le réchauffement climatique menace l’avenir de maintes contrées, voire celui de l’espèce humaine. Beaucoup d’adolescents paniquent devant un futur si incertain et la cohorte des psychiatres ne suffit pas à traiter les jeunes patients. Mais les adultes n’échappent pas à la sinistrose; certains décident de ne pas faire d’enfants, pour ne pas lancer des rejetons dans un monde en perdition.

L’essayiste Nicolas Bouzou tente de combattre ce défaitisme dans son dernier livre, La civilisation de la peur. Il n’est pas un négationniste qui fermerait les yeux sur les dangers du temps; il n’est pas non plus un optimiste béat qui penserait que tout va s’arranger. Non seulement il prend la mesure des risques et des maux, mais il juge la peur consubstantielle à la mentalité humaine; car depuis la nuit des temps, l’homme est confronté à un monde hostile qu’il n’avait pas appris à maîtriser tant soit peu; et la peur, mère de la prudence, le protégeait de certaines calamités. Cette marque indélébile de notre ADN, aujourd’hui, les médias s’entendent à en tirer profit; car les mauvaises nouvelles se vendent mieux que les bonnes; et les réseaux sociaux amplifient encore cette dérive. Mais si la peur est naturelle, elle ne doit pas nous paralyser. Il faut la raisonner pour mieux la surmonter.

La première chose à faire est de relativiser les maux qui nous accablent. Car Bouzou prouve, chiffres en main, que tout ne va pas si mal. La pauvreté extrême est en voie d’éradication. La santé humaine s’améliore, surtout dans les pays les plus pauvres. Presque toute l’humanité est alphabétisée, ce qui ouvre la voie à diverses avancées. On pourrait allonger la liste des progrès, qui contrebalancent les malheurs.

Examinant les menaces majeures de notre époque, l’auteur s’attache à montrer qu’il est possible de les conjurer, ou du moins qu’on peut raisonnablement l’espérer. La crise du Covid, si grave qu’elle ait été, a suscité une impressionnante réaction mondiale des gouvernants, des industriels, des soignants; et avec succès. La lutte contre le cancer ne cesse de marquer des avancées, avec l’optimisation des médications existantes et surtout la perspective de nouvelles pistes de traitement. L’intelligence artificielle, qui peut devenir une concurrente terrible pour le travail des hommes, peut aussi, bien utilisée, le rendre plus rémunérateur et plus intéressant.

Et le climat? Bouzou ne nie pas le réchauffement, il demande simplement qu’on y réfléchisse posément. Car tout n’est pas perdu. Les USA et l’Europe, qui furent les plus gros producteurs de CO2, diminuent déjà leurs émissions et le feront davantage encore grâce à des investissements massifs déjà décidés. La Chine, actuellement un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre avec l’Inde, investit chaque année des sommes colossales dans les énergies renouvelables; elle diminuera ses émissions nocives, selon toute probabilité, vers 2030. Les conférences sur le climat – les COP – témoignent d’une prise de conscience mondiale du problème; si décevants que soient souvent leurs résultats, elles avancent néanmoins par petits pas, une fois sur l’aide aux pays pauvres, une fois sur la décarbonation de l’agriculture, etc. Et l’on ne peut pas exclure de bonnes surprises techniques, à commencer par la capture de CO2, déjà pratiquée avec succès à petite échelle, et aussi avec l’exploitation de «l’hydrogène blanc» qui ne dégage pas de carbone et dont les gisements accessibles se multiplient, et encore avec la fusion nucléaire, à terme lointain pour sa faisabilité industrielle – mais alors ô combien précieuse!

Rationaliste, notre auteur nous invite à réfléchir sur les faits et les probabilités sans nous laisser envahir par les fantasmes et les hantises incontrôlées. Il demande de ne pas sous-estimer la capacité de l’intelligence humaine, qui saura inventer des remèdes à certains maux. Il appelle, en un mot, à «réapprendre l’esprit des Lumières» pour lutter contre un obscurantisme catastrophiste qui nous paralyse.

Voilà sans doute une démarche salutaire. Est-elle suffisante quand le pessimisme ambiant provient aussi des profondeurs, d’un délabrement moral, d’une fatigue de vivre? Aux lumières de la raison, il faut probablement ajouter celles de la poésie; si la nature est menacée, en admirer tout de même les beautés et savoir les chanter; aux pouvoirs de l’IA, joindre ceux de l’imaginaire; face aux turbulences de la politique, se rappeler que l’histoire est le plus souvent chaotique, mais que l’humanité souffrante a toujours su rire et danser.

Référence:

Nicolas Bouzou, La civilisation de la peur – Pourquoi et comment garder confiance dans l’avenir, 222 p., XO Editions 2024.

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