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Aspects de l’étatisation progressive de la société sur le plan fédéral

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2254 31 mai 2024

On a peine à s’en souvenir. La modification de la répartition des tâches (RPT), votée en 2004 et entrée en vigueur en 2008, a inscrit le principe de subsidiarité dans la Constitution fédérale, à titre de maxime de politique institutionnelle. Le nouvel article 5a Cst. a ainsi la teneur suivante: «L’attribution et l’accomplissement des tâches étatiques se fondent sur le principe de subsidiarité.» Cette formulation large indique que le principe de subsidiarité ne vaut pas seulement pour les relations Confédération-cantons, mais également pour les relations cantons-communes et les relations entre l’Etat et la société en général. Un document, émanant du Département fédéral des finances et de la Conférence des gouvernements cantonaux, en septembre 2004, retient l’attention: on en tire en substance que, avec le désenchevêtrement des tâches, l’ancrage du principe de subsidiarité ainsi que l’introduction de nouvelles formes de collaboration entre Confédération et cantons, l’efficacité du fédéralisme devait s’en trouver généralement améliorée – au profit d’une exécution des tâches efficiente et proche du citoyen. Qui ne souscrirait pas à de si plaisantes promesses?

L’idée de subsidiarité est plutôt ancienne, elle remonterait à Aristote puis à Thomas d’Aquin. «Dans sa généralité, elle consiste à laisser agir, autant que possible, les particuliers ou les petits groupes et à n’admettre l’intervention de collectivités plus grandes et finalement celle de l’Etat ou d’une communauté d’Etats que si les particuliers ou les petits groupes ne peuvent pas donner de réponse satisfaisante aux problèmes qui leur sont posés. Pour la solution de ces problèmes, l’action des particuliers et des petits groupes a donc la priorité, l’intervention de collectivités supérieures, plus grandes, plus distantes aussi, ne vient qu’après; c’est en ce sens qu’elle est subsidiaire»1.

Tout ne semble hélas pas s’être déroulé comme on l’imaginait. En effet, loin de reconnaître et d’accorder à la société civile et aux entreprises les champs de liberté dont elles ont besoin et de leur permettre d’exercer la plupart des tâches, ne conservant que les tâches régaliennes ou indispensables, la main publique s’insinue partout. On assiste à une étatisation progressive de notre société. Certes, le phénomène est lent et ne fait pas la une des quotidiens. On observe toutefois d’encore timides mises en lumière, notamment grâce aux travaux du professeur Schaltegger à Lucerne, ainsi que de son équipe réunie au sein de l’institut de politique économique (IWP). Nous présentons dans cet article la situation sur le plan fédéral, à partir de deux paramètres: les effectifs de la fonction publique et le niveau salarial.

Les effectifs de la fonction publique

Si l’on considère les effectifs globaux sur le plan suisse (administrations au sens strict mais aussi enseignement et santé-social) on observe que le total des emplois de la fonction publique (en EPT) a passé de 620’700 en 2002 à 998’100 en 2022, soit une progression de 60,8%, alors que le nombre total d’emplois du pays, privé et public confondus, a passé dans le même temps de 3,3 millions à 4,2 millions, soit une augmentation de l’ordre de 27%. Les administrations publiques progressent de 31,2%, l’enseignement de 50,4% et le groupe santé-social de 78,2%. Ces chiffres incluent cependant l’enseignement privé ainsi que les activités privées du domaine santé-social. Si l’on prend les chiffres présentés en automne 2022 par le prof. Schaltegger, la part exclusive du secteur public s’élevait en 2019 à 16,6% de l’emploi total. Elle a augmenté de 12% entre 2012 et 2019, soit une croissance supérieure à celle du secteur privé qui affichait, sur ces huit années, un taux de 9,7%. La forte croissance du domaine santé social peut s’expliquer d’une part par le vieillissement de la population, d’autre part par le perfectionnement du filet social, nécessitant un recours accru de main-d’œuvre.

Des rémunérations en constante hausse

La sagesse populaire voulait qu’un emploi dans l’administration ne permettait pas de faire fortune, mais assurait un salaire convenable et une retraite avantageuse… l’étude indique qu’on bénéficiera toujours d’une copieuse retraite, mais qu’on ne sera pas loin de faire fortune…

Sur la période 2011-2021 en effet, les frais de personnel de l’administration fédérale ont augmenté d’environ 20%, passant de 5 à 6 milliards de francs par an. Cela ne s’explique pas par la seule croissance des effectifs (qui atteignent désormais quelque 39’000 EPT), mais aussi par la hausse des salaires. Selon l’Office fédéral du personnel, le salaire moyen a augmenté de 6,5% au cours de la dernière décennie alors que le renchérissement, de décembre 2011 à décembre 2021 atteignait seulement 0,36%. Selon l’étude de l’institut lucernois, les collaborateurs de l’administration fédérale disposant des mêmes qualifications et de la même expérience, avec des responsabilités similaires, sont payés 11,6% de mieux que dans le secteur privé (c’est quasiment un quatorzième salaire). La dite administration est un employeur généreux si l’on considère le revenu brut moyen: en 2019, il atteignait 117’176 francs pour un poste à temps plein contre 88’896 francs dans le secteur privé. Les cantons et les communes paient aussi mieux que le secteur privé: 4,3% dans les cantons et 3,4% dans les communes. Pour les plus bas salaires, l’écart est encore plus important et peut atteindre 17% à la Confédération. Pour les postes les mieux rémunérés, l’écart se réduit à quelque 6% tandis que communes et cantons se situent dans le marché.

L’une des raisons de cette différence tient à la tendance de l’administration fédérale d’employer toujours davantage de personnes ayant effectué un cursus dans les hautes écoles. La part de ces diplômés atteint désormais quelque 17% dans l’administration fédérale contre 8% dans les administrations cantonales et 4% dans les communes. En parallèle, la part des personnels moins ou peu qualifiés diminue. Avec cette croissance de la qualification et le recours aux profils académiques ou spécialisés, la progression salariale – et les coûts globaux des frais de personnel de la Confédération – s’explique. Les coûts globaux se sont accrus de 2,8% par an depuis 2008, soit plus que ceux des cantons (2,4%) ou des communes (1,6%).

Dans de prochains articles, nous nous intéresserons au cas du Canton de Vaud et aux enseignements politiques qu’il est possible de tirer de cette progressive étatisation de la société.

Notes:

1      Jean-François Aubert, «Le principe de subsidiarité dans la Constitution fédérale de 1999», in Mélanges en l’Honneur de H.-R. Schupbach, Helbing & Lichtenhahn, 2000.

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