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Pourquoi les autos sont devenues si laides

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2260 23 août 2024

Le récent long métrage de Michael Mann Ferrari nous fait visiter, dans la seconde partie, l’Italie de 1957. L’épreuve d’endurance des Mille Miglia lançait des pur-sang téméraires ivres de vitesse sur route ouverte, de Brescia à Rome et retour. La splendeur de ces rageuses sculptures métalliques façonnées par le vent exaltait les paysages qu’elles déchiraient par les aboiements sauvages de leurs sublimes mécaniques. Dans le centre des villes, lors des ravitaillements, au milieu des palais Renaissance immobiles et silencieux, au pied du Duomo, la noblesse de ces divinités d’acier semblait compléter par leur génie propre les architectures des siècles passés.

Aujourd’hui, les villes et les campagnes sont encombrées de monstres hideux, trop nombreux, trop gros, trop lourds. L’arrogance de leurs calandres démesurées est une invitation à les haïr sans concession. Comparez une DS de 1955 à ce qu’on ose proposer aujourd’hui sous le même nom; voyez la grâce de certaines Mercedes dessinées il y a soixante ans par Paul Bracq (le distingué coupé cabriolet au toit en forme de pagode) et les enclumes surchargées actuelles. Les voitures populaires suscitaient la sympathie, voire le rire: la Mini de Mr Bean, la Deux-Chevaux de la bonne sœur du Gendarme à Saint-Tropez. Aujourd’hui il n’y a pas de quoi se marrer. Comment est-on arrivé à un parc automobile aussi déprimant, grisâtre et uniforme?

La plupart des gens font ce constat: toutes les voitures se ressemblent. Naguère, même un ignorant ne confondait pas une Alfa Romeo dédiée à la conduite sportive et une Jeep prête à affronter les fondrières et la boue. A présent, ces deux marques pourtant très typées ont fusionné dans un grand groupe industriel, Stellantis, qui compte aussi Peugeot, Citroën, Lancia, Fiat, Opel, Chrysler, Dodge, Maserati. Donc les dernières Alfa et Jeep sont construites sur le même châssis, avec les mêmes moteurs, les mêmes composants. Pour les distinguer, et tromper le client, on fait appel à des éléments stylistiques historiques propres à chaque marque. On joue la nostalgie, mais l’âme n’y est plus. Ces économies dites d’échelle sont rendues nécessaires pour contrer la concurrence qui procède de la même manière.

L’ingénieur Colin Chapman (1928-1982) est le créateur de la marque de voitures de sport Lotus. Ses constructions étaient régies par le principe Light is right: on obtient de bonnes performances avec des moteurs modestes, si le véhicule est léger. Par ailleurs, on use moins la mécanique, les freins et les pneus. La consommation de carburant reste raisonnable. Les Lotus étaient vivantes, agiles et peu dispendieuses à l’utilisation. Ça c’était avant. Les actuels détenteurs de la marque (le groupe mondial Geely) profitent du prestige du blason pour imposer sur le marché un SUV électrique délirant de 2,6 tonnes, gavé de batteries chinoises qui délivrent 600 chevaux. Un engin inutile qui vient gonfler la flotte de ces pathétiques bunkers sur roues. Colin, reviens! Ils sont devenus fous!

La sécurité passive alourdit les véhicules: zones de déformation de la carrosserie, renforts latéraux, airbags, etc. La clientèle exigeante coche toutes les cases des options: sono à dix haut-parleurs, sièges électriques chauffants massants, écrans numériques d’info divertissement, jantes et pneus surdimensionnés… Toutes les automobiles sont désormais équipées de vitres électriques, de climatisation, de direction assistée. La technologie rend obèse.

Depuis les années 1950 et pendant un demi-siècle, les Peugeot étaient dessinées par un artiste italien: Pininfarina. Quand le constructeur français a résilié cette fructueuse collaboration, le style s’est empâté. Tous les grands carrossiers, Bertone, Giugiaro, Zagato, Karmann ont disparu et l’inspiration qui va avec. Aujourd’hui, les constructeurs confient leurs créations à des bureaux de design qui travaillent avec des logiciels. Malgré les possibilités technologiques multipliées, les résultats manquent souvent de personnalité.

Pendant plus de la moitié du siècle précédent, l’industrie automobile a vécu un âge d’or, sans pression étatique, exigences écologiques, pressions économiques, globalisation forcenée. On roulait à l’allure qu’on voulait dans un véhicule qui était un objet de désir. En 1909, l’avenir de l’automobile pouvait faire rêver: «Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive… une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.» Marinetti, Manifeste du futurisme.

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