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Epalinges et Marcel Regamey

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2265 1er novembre 2024

Marcel Regamey, né en 1905, arrive à Epalinges en 1915. Il y vit jusqu’à son décès, le 23 juin 1982. Peu après, la commune inaugure le chemin «Marcel Regamey – humaniste et patriote», qui conduit du Collège de la Croix-Blanche à la forêt. Et voilà que la Municipalité actuelle décide de débaptiser le chemin à cause de quelques articles antisémites signés par M. Regamey avant la guerre dans le journal La Nation.

Le journaliste de Lausanne-Cités1 qui nous l’apprend, M. Charaf Abdessemed, a judicieusement intitulé son article «Par lassitude, Epalinges renonce au chemin Marcel Regamey». Cette lassitude municipale transpire d’un bout à l’autre de l’article. Certains voulaient conserver le nom du chemin en y joignant un texte explicatif, mais le syndic Alain Monod s’y refuse aussi: Bien sûr qu’on aurait pu faire cela […] mais si nous l’avions fait, il est certain que dans les années à venir, nous aurions reçu une nouvelle intervention politique pour que le chemin soit débaptisé. Autant donc clore la question dès maintenant. Passons!…

A notre époque de déboulonnage, une telle décision peut sembler fondée. Au regard de la personnalité de Marcel Regamey, de son souci constant du bien commun vaudois et de son action bénéfique pour le pays, elle est à la fois dérisoire et injuste.

N’importe quel historien sait qu’on ne juge bien les écrits d’une personne qu’en se replaçant dans l’esprit de l’époque. On appelle ça la «contextualisation». Il ne s’agit pas de nier les responsabilités, il s’agit d’en prendre l’exacte mesure. Or, à l’époque, le principal article reproché à M. Regamey, publié en 1932, n’a pas déclenché le moindre scandale. On peut en penser ce qu’on veut, mais c’était l’époque. Même les ennemis de la Ligue vaudoise, ils sont nombreux, ne jugent alors pas opportun de l’attaquer là-dessus.

On ne juge pas non plus une pensée politique en se focalisant sur ses débuts, quand elle n’est qu’esquissée à grands traits insolents, marquée par la militance juvénile et mêlée d’emprunts pas entièrement digérés. Dans la durée, au contraire, on voit que certains thèmes se renforcent, tandis que d’autres reculent, ou disparaissent. Et c’est peu à peu que la doctrine apparaît dans sa cohérence. L’antisémitisme, qui fut dès le début un thème marginal dans La Nation, disparut de nos colonnes bien avant la mort de M. Regamey. C’est cela qui importe. D’ailleurs plus d’un éditorial ultérieur témoigne de l’évolution de sa réflexion quant aux aspects politiques et théologiques de la question2.

Enfin, on ne peut juger une personne, à supposer qu’on le doive, en la réduisant à un seul aspect, périphérique en l’occurrence. Car les activités de M. Regamey et de ses collaborateurs furent innombrables et fécondes.

En 1933, la Ligue vaudoise lance son action contre l’impôt sur le vin: la Confédération recule; en 1938, la Ligue perd la grande bataille fédéraliste contre le code pénal suisse; en 1945, M. Regamey rédige et lance l’«initiative pour le retour à la démocratie directe», acceptée en 1949 par le peuple et les cantons; en 1954, son initiative cantonale pour un département de la présidence au Conseil d’Etat échoue en votation, mais l’idée sera reprise dans la Constitution de 2003; en 1974, la Ligue patronne avec succès le référendum contre la très étatiste loi fédérale sur l’aménagement du territoire; en 1978, elle est responsable d’un des trois référendums, victorieux, lancés contre la police fédérale.

Après la guerre, Marcel Regamey crée le camp d’été de Valeyres, qui existe encore aujourd’hui. C’est là que, chaque année, de nouveaux venus se forment au service bénévole du Pays de Vaud. Et c’est là aussi qu’en 1967 se constitue, sous la direction de Bertil Galland, l’équipe qui réalise les douze volumes de l’ «Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud», aventure éditoriale hors normes et succès de librairie.

Il tient l’orgue à la chapelle des Croisettes durant des années. Il représente l’Etat au Synode de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud et s’investit sans compter pour la fusion des Eglises nationale et libre. Il crée et préside jusqu’à sa mort les pré-soutenances de thèse à Crêt-Bérard. Il est élu bâtonnier de l’Ordre des avocats vaudois. Il participe à la préparation de la Fête des Vignerons de 1977. Il tient sa partition à la Commission musicale de l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Outre ses articles pour La Nation, il publie plusieurs essais pénétrants sur la politique, l’histoire et la théologie. Cette vie originale et foisonnante a rendu naturelle et évidente l’attribution à Marcel Regamey d’un chemin de sa commune d’Epalinges.

Et ce n’est pas à la légère que deux des plus éminents Palindzards du XXe siècle, Georges-André Chevallaz, historien, conseiller fédéral, et Henri Rieben, animateur de la «Fondation Jean Monnet pour l’Europe», ont contribué au volume de «Mélanges» publié en 1980 en hommage à Marcel Regamey.

La Municipalité d’Epalinges de 1982 s’est honorée elle-même en honorant M. Regamey. Quant à celle d’aujourd’hui…

Notes:

1   Lausanne-Cités du 16 octobre

2   Voir notamment les articles «La légitimité de l’Etat d’Israël», La Nation du 1er juillet 1967, et surtout «Responsabilité des Juifs», La Nation du 20 avril 1965, qui souligne l’inanité aussi bien juridique que théologique du reproche de «déicide» fait au peuple juif.

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