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Saga Le Corbusier - Une biographie originale par Nicolas Verdan

Vincent Hort
La Nation n° 1888 7 mai 2010
Né en 1971 à Vevey, Nicolas Verdan est journaliste et écrivain. Ses chroniques de voyage ainsi que ses deux premiers romans publiés en 2005 et 2008 chez Bernard Campiche Editeur, Le rendez-vous de Thessalonique et Chromosome 68, lui ont valu une belle notoriété. avec Saga Le Corbusier, Nicolas Verdan met son talent au service de la biographie de Charles-Edouard Jeanneret, l’architecte visionnaire du XXe siècle qui orne nos billets de dix francs.

Ce livre mérite d’être signalé. Tout d’abord parce que l’auteur a mené un important travail de documentation sur la vie de son personnage. Cette connaissance approfondie permet de dépasser les lieux communs habituels concernant Le Corbusier et crée au fil des pages une véritable proximité avec lui. Ensuite parce qu’il s’agit d’une écriture très travaillée. Tout au long de son ouvrage, Nicolas Verdan s’adresse à Le Corbusier à la deuxième personne: «Vous êtes né en Suisse, il y a soixante-neuf ans. Aujourd’hui, vous êtes assis dans une jeep en Inde, la conduite est à droite, vous transpirez.» Ce procédé littéraire aurait pu se révéler contraignant. Il crée au contraire un rythme et donne l’impression d’un dialogue courtois entre l’auteur et son sujet.

C’est au dernier jour de la vie de l’architecte, le 27 août 1965 à Roquebrune- Cap-Martin, que Nicolas Verdan place cette biographie originale, plus précisément lors de la baignade qui lui sera fatale: «Vous nagez, vous cherchez de l’air, votre vie défile devant vos yeux, toute votre vie, vous la voyez défiler.» L’écrivain n’a pas choisi de présenter les différents épisodes de la vie de Le Corbusier de manière chronologique. Il les relate dans un ordre qui semble aléatoire mais dont émergent les principaux axes de son existence.

Le Corbusier se révèle non seulement un architecte à l’échelle de la planète mais aussi un grand voyageur. Il a parcouru presque tous les continents et, bien avant l’essor des transports aériens, se déplaçait de préférence en avion. a sa manière, il incarnait l’Homme moderne pour qui, déjà, le monde est un village.

La ville, justement, est le champ d’intervention privilégié de Le Corbusier: Paris, Athènes, Alger, New York, Rio de Janeiro et Chandigarh. Chacune de ces villes a été étudiée, imaginée, planifiée, dessinée et réinventée par l’architecte franco-suisse: «Vous avez dessiné des unités d’habitation, cités radieuses au toit promenade et aux longues rues intérieures, commerçantes, vous êtes le grand architecte dont parlent les magazines.» Mais si seule la capitale du Penjab a effectivement été bâtie selon ses plans, ses projets visionnaires et ses réflexions ont inspiré des générations d’architectes et d’urbanistes.

On savait Le Corbusier adepte de l’ordre, du béton armé et de la ligne droite. Nicolas Verdan nous le fait découvrir fasciné par le bouillonnement de vie qu’il trouvait dans la casbah d’alger, les ballrooms de Harlem et les favelas de Rio. «Votre vie durant, vous avez cherché le nègre1, l’homme nu. A Rio, à New York aussi, ivre de jazz. Vous avez questionné cet homme que vous imaginez libéré de toute entrave.»

L’auteur consacre aussi quelques pages très précises à la seconde Guerre Mondiale, période durant laquelle Le Corbusier a prêté son concours volontaire au gouvernement du Maréchal. «A Vichy, vous trouvez un vocabulaire qui colle au vôtre […] Vous crânez, vous donnez le change, vous louez les réformes en cours à Vichy. Vous saluez leur volonté de nettoyer la ville de ses impuretés. Les rues sont sales, vous préconisez la fin de la rue […] Vous ne construisez rien du tout.» Il n’y a cependant aucune volonté de juger de la part de Nicolas Verdan – ce qui, dans le climat actuel, mérite d’être relevé –, juste un besoin de comprendre… «Corbu, un lâche? Un collabo? Foutaises! Très peu mon genre ces procès de salon intentés à des personnages illustres, des années après leur mort […] Comment expliquer ce mutisme2 de la part d’un homme qui se dit préoccupé par le bien-être des hommes? Chez Corbu, il y a comme une formidable absence de compassion. Un manque absolu d’amour.»

Les errements de Le Corbusier (qui avait aussi fait le voyage de Moscou à l’époque des purges staliniennes) illustrent combien il a été le témoin de son siècle. Il croit au rationalisme, à la technique, au progrès. Il croit à une révolution – qu’elle soit sociale, nationale ou architecturale –, il crée, il imagine, il se trompe parfois, il insiste, finit par réaliser ses idées et construire des cités radieuses. Le talent de Nicolas Verdan est de nous donner à voir Le Corbusier en lui-même, avec un relief et une justesse qui dépassent le personnage emblématique et offrent au lecteur l’occasion d’une rencontre plus intime.


Nicolas Verdan, Saga Le Corbusier, Bernard Campiche Editeur, 2010, 190 p.


NOTES:

1 L’auteur prend soin d’utiliser le mot nègre en italique afin de le restituer dans son contexte historique, sans la charge péjorative qu’il a aujourd’hui.

2 Par rapport aux souffrances des civils et au sort réservé aux Juifs dans l’Europe en guerre et que Le Corbusier ne pouvait ignorer compte tenu de ses relations au sein de l’administration de Vichy.

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