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L’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud communique

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1950 21 septembre 2012

Le monde repousse l’Eglise à la périphérie du village. Alors, pour éviter la rupture et mieux se faire entendre, l’Eglise se met à parler le langage de celui qui la repousse, recourant notamment aux procédés modernes de la communication, de la «com’». Cette obstination missionnaire est fondée, mais la forme choisie n’est pas sans ambiguïté.

D’abord, le fond n’est jamais totalement séparé de la forme. On ne peut pas parler de tout dans n’importe quel langage. On ne peut par exemple exprimer sa foi dans un langage qui, comme celui du marxisme, exclut a priori l’existence de Dieu. Le langage de la publicité convient-il à l’œuvre missionnaire? C’est un langage nécessairement changeant, car l’effet de surprise est tôt usé. Il est aussi, sciemment, superficiel, souvent désinvolte. Or, tout l’essentiel de la foi porte sur le fondamental, le permanent, le vrai. Comment présenter une religion qui parle du péché originel, de la résurrection du Christ et du Jugement dernier dans une rhétorique qui gambade à la surface des choses?

La communication, c’est toute la communication, et pas seulement les accroches spectaculaires, telle l’exposition de cercueils vides lors des fêtes de Pâques de cette année à l’église de Saint-Laurent. La communication, c’est aussi le message que l’accroche est censée précéder. Elle n’a de sens que si le communicateur assure le suivi en profondeur. Et le suivi d’un coup médiatique ne saurait se réduire au simple enchaînement des coups suivants, annonçant perpétuellement un message qu’on n’ose jamais délivrer, tant il est décalé par rapport à l’accroche.

Le risque n’est donc pas négligeable qu’on reste à mi-chemin, que la personnalité du communicateur prenne le pas sur le message proprement dit et qu’il se satisfasse de recevoir une bonne note de communication de la part des professionnels de la branche. En fait, le bon communicateur n’interfère pas, il est anonyme et vit dans les coulisses.

Saint Paul avait tenté un joli coup de com’ en annonçant aux athéniens qu’il leur parlerait de ce dieu inconnu auquel eux-mêmes avaient érigé un autel. Mais quand il en vint à la Résurrection, «nous t’entendrons là-dessus une autre fois» dirent-ils en se moquant de lui1.

Il faut aussi savoir maîtriser sa com’. Quand l’église de Saint-Laurent, encore elle, annonce sur une grande affiche qu’elle propose un culte «autrement», ça n’a de signification que pour ceux qui connaissent le culte ordinaire, lesquels, soit dit en passant, ne désirent pas forcément changer. Quant au non-pratiquant lambda, cible principale de l’opération, quelle information supplémentaire cet «autrement» lui apporte-t-il, à propos d’une pratique qu’il ne connaît de toute façon pas?

L’«autrement» du culte ne devrait-il d’ailleurs pas être recherché dans l’approfondissement du message plutôt que dans la modification des manières de capter l’attention?

Pour que l’effort missionnaire dure, il faut qu’à ce mouvement vers l’extérieur corresponde une vie intérieure vigoureuse qui le nourrisse et l’inspire. Est-ce vraiment notre cas? Ne sommes-nous pas en train d’ériger une pyramide sur la pointe, avec une pratique religieuse réduite et une recherche de notoriété exténuante, coûteuse et, finalement, sans lendemain?

«J’ai gardé ceux que tu m’as donnés, et aucun d’eux ne s’est perdu»2: l’Eglise a pour charge première d’entretenir la foi des fidèles, y compris celle des trop nombreux intermittents de la pratique. Ce serait une grande légèreté de sa part de les considérer comme acquis une fois pour toutes et de réduire les cultes réguliers, le catéchisme, le culte de l’enfance au profit d’un investissement excessif dans des opérations de com’.

L’erreur majeure de l’Eglise serait de vouloir utiliser les moyens du monde moderne pour se faire accepter par lui selon ses critères, pour qu’il condescende à la juger utile et, finalement, l’embrigade à titre de supplétif éthique. La com’ de l’Eglise n’a de sens que si elle va en sens inverse. Il ne s’agit pas pour elle de se faire accepter par le monde, mais de dire au monde en général et au monde moderne en particulier ce qu’il doit faire et changer pour être lui-même acceptable.

L’Eglise serait plus à l’aise, et d’ailleurs plus percutante, en choisissant ses thèmes de choc dans son bagage biblique et théologique plutôt que dans l’attirail publicitaire. Ils ne manquent certes pas. Elle pourrait, par exemple, affirmer publiquement que la prétention de l’homme à la maîtrise totale du monde, sa cupidité et son indifférence à autrui sont exacerbées plutôt que combattues par l’individualisme égalitaire qui fonde les droits de l’homme. Ou alors, elle pourrait attirer l’attention sur le fait que l’évolutionnisme, quand il est présenté comme une explication définitive de l’histoire du monde, est ni plus ni moins qu’une religion immanentiste qui s’ignore. Ou encore suggérer que si «tout pouvoir vient de Dieu»3, le principe de la souveraineté du peuple est sérieusement relativisé.

Là, oui, ce serait de jolis coups de com’, avec des accroches qui accrocheraient vraiment et déboucheraient tout naturellement sur ces questions choquantes pour le monde d’aujourd’hui, et que l’Eglise est la seule à pouvoir lui poser.

1 Actes 17:22–32.

2 Jean 17:12.

3 Rom. 13:1.

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