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Soli Deo Gloria

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 1950 21 septembre 2012

«La vie réduit l’homme en tant de pièces, que je ne connais pas de tâche plus sérieuse que de l’aider par la musique à reconstituer son intégrité spirituelle» S. G.

Dimanche. C’est le jour du Seigneur. Et ce dimanche-là, il y eut un grand événement musical et religieux au Festival de Lucerne: l’exécution de la Passion et Résurrection selon saint Jean de Sofia Goubaïdoulina. Pendant près de trois heures, cette Passion réveille en lourdes nappes étales des forces telluriques inouïes depuis Le Sacre du Printemps. La musicienne allume de ténébreux incendies, brise les rochers par la fureur de ses orages sonores, soulève des vents noirs. Parce que l’histoire de l’homme et celle de sa Rédemption est une histoire terrible.

La performance quasi athlétique des exécutants (soli, chœur, orchestre et orgue) fut justement applaudie, mais il était patent que les acclamations s’adressaient aussi à l’œuvre: lorsqu’on aperçut la compositrice trottiner sur la scène, comme une vieille dame qui va acheter du mou pour son chat, ce fut, dans un déchaînement indescriptible, une ovation debout de quelque cinq minutes. Nous étions bouleversés par cette humble et menue octogénaire qui nous avait conduits avec tant de conviction au Golgotha; qui nous avait montré la Lumière du matin de Pâques; qui nous avait expliqué la folie de ces événements.

Au début du XXIe siècle, Sofia Goubaïdoulina prend tout naturellement la succession de Jean-Sébastien Bach, de Frank Martin, de Krzysztof Penderecki. Comme eux, elle sait accorder le jeu de la musique et celui des forces cosmiques qui nous dépassent. Une fois encore, le génie du Christianisme s’exprime à travers une œuvre d’art puissante. Dieu, toujours imprévisible, a choisi comme vecteur une petite femme, née de parents athées au fond du Tatarstan sous Staline; son grand-père était mollah.

Telles étaient les réflexions qui animaient notre conversation sur le chemin du retour. Hélas, la gloutonnerie du V6 (Cuore sportivo!) de mes amis interrompit ces propos et nous obligea à un arrêt à la pompe. Pendant le ravitaillement, j’avisai, dans un pré à l’écart, un père et ses deux fils (seize et dix-sept ans) qui avaient déployé un tapis et s’étaient déchaussés. Ils psalmodiaient de lentes prières et se prosternaient profondément à intervalles réguliers, très indifférents aux activités qui se déroulaient sous les néons et les enseignes publicitaires voisins. Mon premier mouvement fut hostile, sans doute à cause de mon éducation calviniste: on ne prise guère les démonstrations publiques de la foi, dans lesquelles on a tôt fait de déceler la part théâtrale.

Mais rapidement mon sentiment changea et je me pris de sympathie pour cette famille unie, toute tendue vers les choses d’en haut. Quel contraste avec les vacanciers fébriles, occupés à gonfler des pneus, à gratter des moustiques sur le pare-brise, pressés de rentrer à Leyde, à Oslo, à Hambourg. J’admirai qu’on puisse prier avec tant de naturel et de ferveur dans un lieu si incongru. Et quel bonheur de rencontrer des gens pour qui l’oraison quotidienne est manifestement le centre de gravité de leur existence.

C’était une famille ordinaire. Combien de chrétiens ordinaires en feraient autant?

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