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Retour sur une affirmation

Georges Perrin
La Nation n° 1950 21 septembre 2012

Dans l’article que nous avons écrit (La Nation no 1936, du 9 mars) sur le sujet du suicide assisté et sur la demande d’EXIT de pouvoir l’exercer à sa façon, ainsi que sur le contre-projet du Grand Conseil destiné à encadrer et limiter cette pratique, nous avons utilisé une expression qui déplaît toujours à nombre de nos contemporains. Il nous fallait qualifier l’acte du suicide en lui-même, sa valeur morale, avant de discuter de ses applications, et nous avons repris pour ce faire la déclaration faite lors de la consultation par les représentants de l’Eglise catholique, disant que «le suicide est un péché mortel».

Ce n’est pas sans difficulté ni débat intérieur qu’on peut se permettre d’utiliser un terme pareil; on ne peut s’empêcher d’avoir présentes à l’esprit toutes les douleurs insupportables qu’éprouvent de nombreux malades; arrivés au bout de leur résistance physique, sont-ils maîtres encore de leur décision ultime? Et par conséquent responsables? Et pour ceux que la vie a dépouillés progressivement de leur entourage familier, que des infirmités isolent du monde ambiant, une existence désormais morne et sans aucun événement, n’est-elle pas aussi au-dessus d’une endurance humaine normale? Comment qualifier alors les actes commis, ou parfois seulement décidés sans pouvoir être exécutés? Et quelle est la parenté entre toutes ces situations pour les englober toutes sous le même vocable? On peut comprendre la révolte de ceux qui ont vécu des drames semblables chez des proches, ou dont l’imagination est plus vive que chez les théoriciens de la morale, et qui sont blessés par un jugement jugé immérité.

Il y a le recours possible à une morale moderne, plus souple que l’opinion traditionnelle. La civilisation européenne contemporaine est héritière, dit-on, de plusieurs sources: la Grèce classique, la religion juive et chrétienne, enfin les Lumières. Il n’est plus question d’appuyer ses certitudes sur des présupposés d’une autre époque; la morale est relative à la conscience personnelle, ce n’est plus un code révélé imposé de l’extérieur à l’homme.

Mais la difficulté est alors qu’on ne peut plus définir le sujet dont on traite, puisqu’il est variable selon les circonstances; quelle est la signification de l’expression «suicide, péché mortel» si toutes ses réalisations concrètes diffèrent selon les lieux et les personnes? «Tout domaine de l’être contient certaines déterminations fondamentales, qui fondent sa spécificité et le délimitent par rapport au reste. Dès que la pensée cherche à saisir un tel domaine spéculativement, elle isole ces déterminations fondamentales et obtient ainsi les données préalables de tous les énoncés possibles au sujet des objets propres à ce domaine. Ces présupposés ou catégories sont universellement nécessaires.» (Romano Guardini, L’essence du christianisme). La réflexion discursive est donc justifiée et indispensable, dans un premier temps pour comprendre la chose dont il est question (ici le suicide, le péché), et pour la qualifier dans sa valeur humaine. Mais en parler à propos d’une personne réelle, c’est en plus autre chose, c’est reporter sur elle des pensées, des affirmations, qui proviennent d’un raisonnement théorique, qui de par sa nature ne peut tenir compte de l’ensemble de la situation concrète. Car il est impossible de connaître toutes les causes, motifs et circonstances innombrables à l’origine de chaque acte humain, même simple; d’autre part, comme le compte final de notre vie aura lieu après la fin de l’Histoire, ce sera pour tous une révélation; aucun de nous ne connaîtra le verdict avant ce moment. «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» et «chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait». Et Romano Guardini ajoute ici: «La mesure du jugement, ce n’est donc pas la “miséricorde”, la “valeur”, la “catégorie morale”, c’est en dernière analyse non pas “le bien” ou “le devoir”, mais Lui», qui nous sera révélé alors aussi.

C’est donc l’emploi de ce terme de «suicide-péché» qui doit être pesé de façon à respecter le vécu humain; il devrait garder le sens d’avertissement, et non de jugement.

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