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Une nouvelle biographie de Pierre Viret

Dominique-A. Troilo
La Nation n° 1976 20 septembre 2013

Pierre Viret, vous connaissez? En terre vaudoise, cela semble une évidence. Pourtant, seule une minorité de nos concitoyens ont rencontré son nom dans un livre d’histoire et savent qu’il s’agit d’un réformateur. Alors, imaginez ce que nos amis d’Outre-Atlantique peuvent connaître à son sujet. Mme Rebekah Sheats s’est fait un devoir de rédiger la première biographie du réformateur suisse en anglais1. L’ouvrage est accompagné de très belles photos réalisées par l’éditeur, Tom Ertl.

L’auteur écrit dans un style simple et agréable. Elle ne se perd pas en conjectures ou à discuter certains points mal connus de la vie de Viret. Il s’agit d’une excellente biographie accessible à tous.

Ce récit nous rend Viret sympathique. Il est idéal pour un premier contact avec le réformateur. Le lecteur pourra ensuite explorer les écrits de Viret lui-même, consulter sa correspondance ou se référer aux monographies et articles spécialisés.

On remarquera immédiatement la touche confessante de cet ouvrage. En ce sens, Rebekah Sheats nous met dans l’ambiance du XVIe siècle où la foi occupait une place centrale. La démarche de l’auteur n’est pas sans rappeler aussi celle des grands écrivains qui ont présidé à la redécouverte de Viret, dont Philippe Godet (1892) et Henri Vuilleumier (1911). Il faut se souvenir qu’au milieu du XIXe siècle, la Suisse romande se trouvait confrontée à deux courants. Il y avait d’abord la déchristianisation, sous influence laïque française, suite à la Révolution. Il y avait ensuite une poussée de nationalisme, avec une récupération de la religion par l’Etat. Toute une partie du Canton de Vaud trouva en Viret un héros de l’indépendance de l’Eglise face à quelque pouvoir que ce soit. Viret devenait le précurseur d’Alexandre Vinet. Le 300e anniversaire de sa mort en 1871 fut l’occasion d’une timide célébration. Elle préluda les festivités du 400e de sa naissance, en 1911, qui permirent enfin à l’Eglise vaudoise de redécouvrir son fondateur.

Jusqu’à cette époque, Viret était presque tombé dans l’oubli.

La première raison est que Calvin a presque totalement éclipsé Viret. Les humains ayant besoin de s’identifier à un personnage phare, l’envergure de Calvin a permis au protestantisme francophone d’avoir sa figure de proue. Il faut pourtant se souvenir que le calvinisme trouve ses origines chez Guillaume Farel et Pierre Viret, et qu’il a ensuite été consolidé par Théodore de Bèze et bien d’autres. Vous découvrirez dans cette biographie le rôle important joué par chacun de ces hommes. Dès ses débuts, Calvin a bénéficié de l’appui indéfectible de Farel et Viret. Il n’aurait jamais été le grand réformateur de Genève sans eux: n’oublions pas que ce sont ses deux amis qui y ont apporté la Réformation. Si nos deux compères étaient engagés par une université, Viret aurait la chaire de théologie pratique et Calvin celle de systématique. Leurs approches sont complémentaires, il ne s’agit pas de les opposer ou de faire de l’un le disciple de l’autre.

La deuxième raison de l’oubli de Viret est qu’il s’adressait d’abord au petit peuple. Or, c’est rarement ce dernier qui écrit l’histoire, mais bien les intellectuels! Ajoutons que, dès la fin du XVIe siècle, les frontières religieuses de l’Europe étaient dessinées; elles n’évolueront guère depuis. Catholiques et réformés se mirent donc à consolider leurs positions. L’Europe, quant à elle, entra dans un temps d’ouverture au progrès. Face à cette cristallisation tant géographique que théologique, les écrits de vulgarisation, d’évangélisation et de controverse de Viret perdirent leur intérêt. L’œuvre de Calvin, dont son Institution chrétienne, correspondait mieux aux attentes d’une Eglise installée. Avec le repli de nos Eglises, en ce XXIe siècle, nous avons besoin de réentendre la voix du prophète Viret.

Une dernière raison a conduit à écarter Viret. Très vite, le parti catholique romain a cherché à le discréditer. De cette façon, il réduisait son autorité. La rumeur est une arme redoutable. C’est ainsi qu’on a dit que Viret était brouillon, trop long, ennuyeux. Qu’il n’était que la pâle figure de Calvin, etc. Cette vision des choses alla jusqu’à contaminer les milieux réformés. Dès lors, pour rester crédible, il ne fallait pas perdre son temps à lire Viret. On ne s’est donc pas contenté de mettre Viret à l’index, on l’a jeté aux oubliettes.

Il n’a pas été facile de l’exhumer. Preuve en est que la réédition de ses œuvres n’a pas été entreprise par les milieux universitaires, qui ont tardé à se mettre en route, restés attachés à la figure plus porteuse de Calvin. Mais l’œuvre de Viret et sa correspondance, mises en lumière, révèlent des trésors extraordinaires. Mme Sheats nous en fait partager quelques-uns. Les études viretiennes ont un bel avenir devant elles.

Avec la redécouverte du personnage, on assiste aussi à différentes récupérations. Par exemple, on en a fait le père de la tolérance religieuse, voire de l’œcuménisme. Il est vrai qu’il a été le sourire de la Réformation. Viret dit lui-même détester les dissensions et la violence. L’amour de Dieu et la grâce sont au centre de son message. En ce sens, il est pacifique. Mais d’un autre côté, la crédibilité de la foi réformée dépendait du comportement des fidèles. Dès lors, il exigeait d’eux une vie irréprochable et une théologie centrée sur la Parole de Dieu. Il ne suffisait donc pas de porter une étiquette chrétienne, quelle qu’elle fût. Il s’agissait de rencontrer le vrai Dieu, de retrouver la pureté de l’Evangile, et de secouer son manteau de tout rajout factice. En ce sens, il était sans compromis. Son désir d’établir une discipline digne du peuple de Dieu lui vaudra l’exil de Lausanne en 1559. Si, dans les années 1563 à 1565, Viret propose de vivre intelligemment entre catholiques et réformés, c’est qu’il espère qu’en usant de patience, finalement, la foi réformée l’emportera.

Viret nous appelle au respect de l’être humain. On ne fait pas avancer le Royaume de Dieu par la violence. Il nous appelle à redécouvrir les valeurs de l’Evangile autant que l’amour inconditionnel de Dieu. Le message de Viret est d’une actualité saisissante.

Nous espérons que cette belle biographie de Viret sera bientôt traduite en français.

 

1 R.A. Sheats, Pierre Viret: The Angel of the Reformation, Zurich publishing, Tallahassee (USA), 2012, 323 pages. Ce livre est disponible au prix de 40 francs à la librairie La Proue, Escaliers du Marché 17, 1003 Lausanne.

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