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Droit évolutif

RédactionOn nous écrit
La Nation n° 1976 20 septembre 2013

Dans La Nation n° 1973 du 9 août, la Ligue vaudoise partage les critiques de la politique de M. Burkhalter émises par M. Pascal Décaillet.

Je pense pouvoir la rejoindre, mais suis loin d’en être sûr, parce qu’en fait je n’y comprends rien. […] Un épais nuage de fumée est répandu par ceux qui la soutiennent, que ceux qui la contestent ne souhaitent pas dissiper.

La Suisse a souscrit à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a ainsi librement consenti à se soumettre à une législation commune à de nombreuses nations. Elle a ainsi limité, volontairement, sa liberté; la seule possibilité de se soustraire à son engagement et aux contraintes qu’il lui impose, c’est de dénoncer son adhésion. La Cour européenne des droits de l’homme est composée de juges qui, en majorité, ne sont pas suisses. La Suisse a donc accepté déjà des juges étrangers. C’est Monsieur Dépraz, rédacteur de Domaine Public, qui relève la chose.

En 1974, la Suisse a signé la Convention. Elle s’est ainsi soumise à une juridiction étrangère, mais portant sur une loi connue. Par la suite, la Convention a été modifiée, chaque fois, la Suisse a formellement accepté d’étendre son accord à la modification.

Ce que souhaite l’Union européenne, si j’ai bien compris, c’est que la Suisse s’engage non seulement à se soumettre aux lois qu’elle a jusqu’ici adoptées, mais aussi aux lois qu’elle adoptera. Dans sa lettre à la Présidente de la Confédération, en se référant à la décision du Conseil du 20 décembre 2012, Monsieur Barroso explique: Mais, de l’avis du Conseil, c’est précisément pour garantir une interprétation et une application uniformes des règles du marché intérieur dans l’UE et en Suisse que d’autres progrès s’imposent. A ses yeux, il est particulièrement impératif que le futur cadre institutionnel soit appliqué à l’ensemble des accords concernant le marché intérieur, donc aussi bien aux accords existants que futurs. Le nouveau cadre institutionnel devrait en outre prévoir des mécanismes contraignants d’adaptation des accords à l’évolution du droit du marché intérieur européen, de même que des mécanismes internationaux de surveillance et d’application de la législation, ce afin d’atteindre un niveau de sécurité juridique et d’indépendance analogue à celui qui prévaut dans l’EEE.

Comme ce fut le cas pour la Convention européenne des droits de l’homme, la Suisse pourrait accepter de se soumettre à des lois existantes, connues. Elle le ferait librement, en toute connaissance de cause. Mais l’exigence de l’Union européenne que la Suisse se soumette aux lois qu’elle édictera dans le futur relève en revanche d’une attitude féodale. Imaginons la chose: deux voisins ont des relations qui ressortent du droit civil, des droits de passage, des conventions sur le bruit, la hauteur des bâtiments, des droits de vue, que sais-je, et l’un dirait à l’autre: «Si vous voulez encore discuter de quelque chose, quoi qu’il s’agisse, j’exige que vous vous engagiez d’abord à vous soumettre à toutes les règles que j’émettrai par la suite.»

Ce ne sont donc pas tant les juges étrangers qui font problème que le fait que l’Union européenne veuille imposer sa loi; si la Suisse accepte de s’y soumettre, il est logique qu’elle en accepte la juridiction. La sibylline phrase du secrétaire d’Etat Rossier trouverait ainsi son explication: «Certes, ce sont des juges étrangers, mais il s’agit de lois étrangères.»

Raisonnablement, la Suisse pourrait accepter de se soumettre aux lois actuelles de l’Union européenne: ce serait un accord entre deux partenaires. Lorsque l’Union européenne modifierait ses lois postérieurement à l’accord, la Suisse resterait libre de se soumettre à la loi modifiée, ou non, sans que l’accord préexistant soit mis en question. Les modifications de lois apportées postérieurement à l’accord nécessiteraient un nouvel accord […]. Tout accord peut soulever des questions d’interprétation. Pour régler une divergence d’interprétation, il faut un arbitrage, paritaire évidemment: en aucun cas un tribunal de l’une des parties (là encore, un mystère: il semble que le Conseil fédéral ait envisagé de soumettre ces cas à un tribunal suisse: ce serait évidemment inacceptable pour l’Union européenne. Serait-ce le principe symétrique que souhaite l’Union européenne, soit un tribunal européen qui soit juge en cas de différends? Ce serait évidemment inacceptable pour la Suisse).

Logiquement, mais déraisonnablement, si la Suisse s’engage à se soumettre aux lois que l’Union européenne adoptera dans le futur, elle se place dans une situation de vassalité, et les juges étrangers en sont la conséquence. Dans cette seconde hypothèse, la loi supérieure serait celle de l’Union européenne: le Tribunal fédéral ne pourrait qu’en prendre acte, et l’appliquer.

Il semble que la Suisse soit demandeuse. De quoi? Voici encore qui est fort nébuleux. Apparemment, il s’agit entre autres de permettre à ses entreprises de service financier d’exercer librement en Europe. Est-ce important? Je n’en sais rien. En échange, le prix qui serait à payer, que Monsieur Rossier semble benoîtement prêt à faire payer à son pays, en est la perte de sa souveraineté. Est-ce important? Je le pense. Pour le moins, me semble-t-il, par respect de notre système démocratique, (m’adressant à vous, je dirai aussi: par respect de notre système fédéraliste), cette base de marchandage devrait-elle être rendue publique. Une pareille perte de souveraineté ne devrait pas se négocier en catimini.

 

RODOLPHE WEIBEL

 

Nous reviendrons certainement sur ce sujet important.

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