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Drogue: une nouvelle offensive, relayée par la RTS

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1992 2 mai 2014

En matière de drogue, il existe deux approches fondamentalement divergentes. La première repose sur les trois piliers traditionnels: la prévention, la répression et la thérapie. La thérapie est une prise en main non seulement médicale mais aussi psychologique et morale. La répression ne convertit guère les consommateurs, mais protège et dissuade ceux qui ne consomment pas, en particulier les écoliers et les adolescents. En ce sens, elle fait partie de la prévention.

Cette approche est un échec, affirment les tenants de la seconde approche. Malgré les dépenses colossales qu’elle engendre, la répression n’a pas empêché l’explosion du marché illégal et la croissance constante du nombre des consommateurs. Elle marginalise ces derniers, les jette dans la délinquance. Elle leur impose des conditions de vie désastreuses qui créent des problèmes d’hygiène et de santé publique. L’interdiction a pour corollaire l’absence de contrôle officiel, ce qui ouvre la porte à la vente de produits dangereusement frelatés. Enfin, l’interdiction crée le désir, lequel crée le besoin: la répression n’est pas seulement inefficace, elle est contreproductive.

Les adversaires de la répression proposent donc de libéraliser le marché de la drogue. En Suisse, ils se sont battus pour l’introduction d’un quatrième pilier, la «réduction des risques». Il consiste à mettre à disposition du toxicomane des locaux propres où il peut consommer ses produits sous contrôle médical voire, sous certaines conditions, se faire prescrire «médicalement» de l’héroïne.

Aujourd’hui, ils veulent aller plus loin et «décriminaliser» la consommation, la distribution et la production. Le marché de la drogue échapperait ainsi aux narcotrafiquants, régulé qu’il serait par un organisme international. Accessoirement, cela rapporterait quelques centaines de milliards bienvenus aux pouvoirs publics.

Parmi ceux qui soutiennent activement cette approche, on note une coalition de libéraux qui pensent que l’ordre naît de la liberté, de socialistes qui croient en la bonté naturelle de l’homme, de médecins désireux de résoudre les problèmes sanitaires des toxicomanes. On y trouve aussi des spéculateurs internationaux, comme Georges Soros.

Ces derniers jours, ils sont revenus à la charge. L’émission Temps présent du 24 avril s’intitulait «Drogue, la fin de la prohibition», reprenant le titre du reportage qu’elle nous présentait1.

Le film débute en montrant l’équipe de la Global commission on drug policy (!). On y voit d’anciens responsables politiques, dont Mme Ruth Dreifuss, MM. Kofi Annan, Paul Volcker, ancien directeur de la Réserve fédérale des Etats-Unis, Georges Schultz, ancien secrétaire d’Etat, Richard Branson, le milliardaire de service, ainsi que d’anciens présidents de la Colombie, du Mexique, du Brésil, du Portugal, de la Pologne, etc. Leur but est d’influencer les mentalités, en particulier celles des politiques, dans le sens de la décriminalisation.

Il est impressionnant de constater que, du présentateur de la RTS aux membres de la «Commission globale» en passant par les auteurs du film et ses acteurs, toxicomanes, assistants sociaux, médecins, policiers, tous parlent d’une seule voix, sur le même ton de la certitude, en recourant aux mêmes formules. Il n’y a pas le moindre contradicteur, parce qu’il n’y a pas le moindre doute: la Commission globale est infaillible, et la RTS est l’un de ses prophètes!

Dans le film, l’argumentation est aussi floue que les slogans sont péremptoires. On commence par présenter les choses comme si tous les dégâts de la drogue, tant sur le plan de la santé physique et mentale qu’en ce qui concerne les coûts de la police, de la justice et de la prison, étaient dus à la seule répression… et en sous-entendant qu’ils disparaîtraient d’un coup si les Etats arrêtaient de réprimer.

Si les résultats de la répression sont décevants, n’est-ce pas aussi qu’elle est conduite d’une façon velléitaire par des autorités politiques qui ne sont pas toujours loin de penser comme Mme Dreifuss? N’est-ce pas encore que la mondialisation rend l’action policière beaucoup plus difficile et moins efficace dans tous les secteurs de la criminalité internationale, en particulier celui de la drogue?

Dans tous les cas, il est absurde de reprocher à la répression de ne pas donner ce qui n’est pas de son ressort, en particulier la prise en charge thérapeutique du toxicomane et sa réinsertion. Les deux autres piliers sont là pour ça.

A ce propos, justement, le film et le présentateur parlent plusieurs fois du «tout-répressif» à propos de la Suisse, comme si les deux autres piliers ne jouaient aucun rôle dans la politique des cantons et des grandes communes, comme si les autorités se contentaient de faire matraquer tout ce qui fume, pique, mâche et sniffe. Le débat se voit ainsi réduit à des rafales unilatérales de formules simplificatrices.

Avec un culot infernal, le reportage présente les abominables «scènes ouvertes de la drogue», le Platzspitz en l’occurrence, comme des effets de la politique répressive. En fait, l’ouverture de ces lieux de libre accès à la drogue fut saluée comme une victoire par les partisans de la libéralisation. Les tenants de la politique traditionnelle l’avaient au contraire combattue de toutes leurs forces.

La notion de décriminalisation n’est pas moins floue. Tantôt il s’agit de décriminaliser le petit consommateur, tantôt il s’agit de décriminaliser la production, la distribution et la consommation de toutes les drogues, y compris les plus dures. On passe subrepticement de l’un à l’autre, justifiant la décriminalisation totale par le fait, contesté par personne, qu’il est injuste de considérer le fumeur de joint occasionnel comme un grand délinquant.

On nous dit que le Portugal et l’Espagne font de grandes choses… «et ça marche!», conclut triomphalement la voix off.

Le Portugal a décriminalisé la consommation de toutes les drogues. Le «coup de génie» des Portugais, jugent les auteurs du reportage, c’est d’avoir créé une Commission de dissuasion. Si vous êtes pincé avec un joint, cette commission, formée de juristes, de psychologues et d’assistantes sociales, décide si vous êtes un consommateur occasionnel ou dépendant. Dans le premier cas, pas de sanction et pas de casier, juste des conseils. Dans le second, on vous dirige sur un traitement. On n’en saura pas plus.

«En Suisse, dit complaisamment Mme Kennel à un policier portugais, on dit que pour avoir moins de toxicomanes et moins de dealers, il faut encore plus de répression, plus de police dans la rue, plus d’arrestations.» Est-ce vraiment la seule chose qu’on dise en Suisse à ce propos?

La trouvaille espagnole, c’est de créer des clubs de consommateurs qui produisent juste ce dont les membres ont besoin. Pas de vente ni de consommation dans les rues. Cette idée de privatiser la drogue est saluée et développée un peu plus loin par M. Olivier Guéniat.

Des commissions de dissuasion, l’absence d’inscription dans le casier judiciaire, des clubs privés de production et de consommation, des locaux d’injection, des informations et des conseils, de la distribution médicale d’héroïne, le tout sous la supervision d’un organisme mondial, voilà ce qu’on nous présente comme solution révolutionnaire («et ça marche!»). N’est-ce pas, tout de même, un peu minçolet pour mettre à genoux les maffias de la drogue?

Pour ce qui est du toxicomane lambda, qui peut croire un instant que le fait de consommer moins cher, plus propre et plus régulé l’induira à consommer moins? Le film ne nous dit absolument rien de l’organisme mondial de régulation que proposent nos commissaires globaux, de la structure qu’on lui donnera, de ses moyens d’action, du rôle qu’y joueront les Etats, de son efficacité, des dommages collatéraux éventuels.

Et que se passera-t-il avec les cultivateurs et les producteurs de drogue? Pourront- ils continuer comme avant? Ou tout sera-t-il pris en charge par les Etats, sous le contrôle de l’OMS ou, pourquoi pas, de la Commission globale elle-même? Et que se passera-t-il si des Etats producteurs refusent de se soumettre aux conditions et aux décisions de l’organisme mondial de régulation? Avant de confier quelque compétence que ce soit à cet organisme, il serait bon qu’on en sache un peu plus… s’il y a quelque chose à savoir.

Et pour les narcotrafiquants, l’organisme de régulation sera-t-il plus qu’une chicane supplémentaire à contourner? On peut même penser qu’ils préféreront cent fois cet organisme sans force aux interventions bien réelles de la répression policière. Là encore, pas l’ombre d’une réflexion stratégique: pour Mme Dreifuss et ses compères de la Commission globale, il ne s’agit que de casser la répression à n’importe quel prix. Les cartels de la drogue leur doivent une fière chandelle.

Notes:

1 Un reportage de Philippe Mach et Sabine Kennel: www.rts.ch/emissions/temps-present/5681514-drogue-la-fin-de-la-prohibition.html

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