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Pourquoi les opérateurs téléphoniques seront bientôt plus riches que les banquiers

Julien Le Fort
La Nation n° 1992 2 mai 2014

Dans le cadre des enquêtes pénales qu’il mène, le Ministère public peut demander à des tiers de lui fournir des objets, valeurs ou informations qu’ils détiennent. On parle d’obligation de dépôt (art. 265 du Code de procédure pénale fédéral): le tiers est obligé de déposer en mains de l’autorité les objets, valeurs ou supports d’information qui lui sont demandés. Très souvent, le tiers visé par une obligation de dépôt est une banque: le Ministère public lui réclame les documents d’ouverture de tel compte, ou les relevés de mouvements y relatifs. Les banques étant tenues à une activité irréprochable et ayant l’habitude de collaborer avec les autorités pénales, elles s’exécutent sans maugréer et à leurs propres frais! Elles assument elles-mêmes les coûts liés à l’édition des documents en question, alors même que ces frais peuvent être élevés selon le volume des documents demandés. Le législateur considère en quelque sorte que collaborer avec les autorités pénales fait partie du métier de banquier et que les banques doivent donc financer ce pan particulier de l’activité bancaire.

Régulièrement, dans une enquête pénale, les autorités sollicitent de la part d’un opérateur téléphonique qu’il fournisse les données historiques des six derniers mois pour tel appareil ou tel numéro de téléphone. L’opérateur fournit alors un relevé de toutes les communications entrantes et sortantes ainsi que le contenu des SMS échangés (les SMS sont enregistrés dans l’historique de l’opérateur, mais pas le contenu des conversations vocales car nul n’est sur écoute à moins de soupçons d’infraction grave). Un magistrat au fait de ces questions techniques affirme que l’opérateur édite les données demandées par un Ministère public en un seul clic. Un ou plusieurs clics, qu’importe: le travail demandé à l’opérateur est minime. Or ce dernier est défrayé à hauteur de 540 francs pour fournir cette prestation, en vertu de l’ordonnance fédérale sur les émoluments et les indemnités en matière de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication. Le législateur ne considère pas que collaborer avec les autorités pénales fasse partie du métier d’opérateur téléphonique; ces opérateurs n’ayant rien à voir avec une quelconque activité délictuelle de leurs clients, ils n’ont pas à assumer les coûts liés à l’établissement de preuves.

En résumé, pour un travail comparable dans des circonstances similaires, l’opérateur téléphonique perçoit 540 francs (l’autorité paie 700.– mais 160.– restent dans la poche du service fédéral qui coordonne le tout) tandis que le banquier ne perçoit rien. Cela choque, surtout quand on sait que le Canton de Vaud débourse environ 2 millions de francs par an en émoluments de surveillance téléphonique!

La Confédération est en train de réviser les règles qui président à la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication. Mais il est déjà prévu que les émoluments dus aux opérateurs téléphoniques seront maintenus sans changement. Jean Treccani, procureur général adjoint du Canton, est monté au créneau dans la presse: il a dénoncé des coûts totalement surfaits pour la justice, sept fois plus élevés qu’à l’étranger. De fait, le prix payé à l’opérateur téléphonique est supérieur aux frais de celui-ci. Il s’enrichit donc sur le dos de l’Etat. Partant, il est urgent que la Confédération corrige les règles en vigueur. Il n’y a aucune raison que les opérateurs téléphoniques s’en tirent à si bon compte et que les autorités de poursuite pénale voient leurs comptes lestés par de tels coûts d’enquête.

Quand on considère à quel point il est facile de se procurer, sous une fausse identité, un téléphone portable avec une carte à prépaiement (ce qui constitue un préalable récurrent à la commission d’infractions), on se dit que les opérateurs téléphoniques sont soumis à un devoir de diligence minimaliste et qu’ils sont en outre rémunérés par l’Etat pour le désordre (les infractions) qui résulte de cette légèreté. En bon français, cela s’appelle du foutage de gueule.

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