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Quand Marie-Claire va trop loin et que seule une femme peut le dire

Charlotte Monnier
La Nation n° 2005 14 novembre 2014

Ceux qui souffrent déjà de me voir quotidiennement apparaître sur le fil d’actualités de leur compte Facebook, savent déjà combien cette citation m’a interpellée, révoltée, enragée:

L’expression «femme puissante» est un oxymore. Nous sommes désignées comme femme à cause de notre impuissance. Le mot femme disparaîtra un jour.

Nous devons cette déclaration à Marcela Iacub, écrivain cité dans le supplément au numéro 747 du magazine féminin Marie-Claire. Elle semble assez clairement dénoncer le fait que seul un homme peut, à l’heure actuelle, être qualifié de «puissant». Mais de quelle puissance parle-t-elle? En a-t-elle elle-même une idée claire et précise ou ne prend-elle pas tout simplement un plaisir tout à fait fantasmatique à se victimiser? Et puisque femme rime forcément avec une impuissance globale à ses yeux, que fait-elle de la catastrophe à l’échelle planétaire que représenterait une impuissance masculine généralisée?

J’eus beau m’être trouvée dans une patinoire aussi frigorifique que valaisanne au moment de lire ces mots, mon corps tout entier s’est enflammé. Les revendications «féministes» d’il y a cinquante ans, et dont je récolte aujourd’hui (avec reconnaissance) les fruits, se sont-elle dégradées à ce point? Le féminisme, en revendiquant l’abolition de toujours plus de termes dont la seule fonction est pourtant de désigner une tranche de la réalité concrète et objective qui nous entoure, serait-il révolu, désuet? Son triomphe, tout occidental, aurait-il dérivé sur un discours qui n’a de politique et polémique que le nom? C’est l’inquiétude qui a dicté la rédaction du présent article.

A aucun moment, ce dernier ne fera abstraction ou omission des sévices sexuels et autres infamies infligées au sexe féminin, au nom d’une idéologie extrémiste ou religieuse. Il se veut optimiste et convaincu du fait que ces atrocités, contrairement à la risible succession des cinq lettres du mot «femme», disparaîtront dans les décennies à venir. Les questions qui intéressent aujourd’hui la jeune lectrice de Marie-Claire soussignée sont les suivantes:

Qu’est-ce que le féminisme aujourd’hui, dans l’Europe laïque, moderne et libérale qui est la nôtre? Mais aussi, qu’est-ce que ne pas être féministe? Et puisque l’heure est à la mise à jour des lexiques et vocabulaires, le «féminisme» est-il encore un terme d’actualité?

Par exemple, peut-on aujourd’hui encore saluer la lutte des femmes en faveur d’une plus grande visibilité médiatique alors que les squelettes pathologiques qui défilent sur les podiums se comptent par centaines? Mais aussi, peut-on encore s’émerveiller du progrès qui tend à toujours plus d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes lorsque, sur une campagne publicitaire pour préservatifs masculins, figurent… deux femmes? Je veux bien reconnaître que, sujette aux otites à répétition, j’étais peut-être absente le jour où une dame est venue faire mon éducation sexuelle en primaire, mais ma bonne volonté n’ira pas plus loin.

Enfin, les revendications féministes qui vécurent leurs heures de gloire lorsque, un certain mois de mai 1968, les Champs-Elysées se dévalaient seins nus, ont-elles encore leur place dans nos réflexions contemporaines sur le rapport homme-femme? Les fameuses et non moins envahissantes gender studies n’auraient-elles pas fini par remplacer le féminisme sur la scène des frustrations humaines engendrées par l’incapacité de l’humanité à admettre l’idée que, si «nous sommes tous égaux, certains le sont plus que d’autres»? Le génie comique de Coluche, au moins, demeure.

«Tous différents, tous égaux», je veux bien. Mais le féminisme moderne et contemporain, à force d’abolir les différences, n’abolit-il pas aussi l’expérience de la rencontre de l’autre ainsi que la reconnaissance du fait que tout être humain est unique et singulier, tant du point de vue sexuel que comportemental, caractériel et générationnel? A force de revendiquer ses droits en tant que femme libre et émancipée, la femme moderne n’est-elle pas en train de se prendre à son propre piège en se cloîtrant littéralement dans ses désirs et en se prenant les pieds dans le filet de ses principes? Prête à tout pour ne jamais être ne serait-ce que soupçonnée d’agir en fonction d’une exigence sociale extérieure à son être intime, la fameuse femme libérée, pour qui tout n’est «pas si facile», se serait-elle épuisée?

Beaucoup de questions, peu de réponses. Au-delà des inégalités salariales qui ne subsisteront pas longtemps, l’histoire du féminisme occidental serait-elle parvenue à son terme? C’est sur l’impression d’une réponse positive à cette dernière question que nous conclurons cet article, à défaut de pouvoir le faire en affirmant qu’«ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants». Ce serait en effet non seulement admettre l’idée qu’une femme puisse sincèrement désirer faire l’expérience de la maternité, mais surtout reconnaître que, pour vivre celle-ci, il faut un homme et une… femme. Littéralement.

 

L’article de notre collaboratrice propose de distinguer un féminisme pondéré qui fut utile à une certaine époque et un féminisme moderne qui, n’ayant plus de raison d’être, s’est radicalisé jusqu’à l’absurde pour éviter de disparaître. Nous reviendrons sur la question. Réd.

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