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Une page d’histoire religieuse

Claire-Marie Schertz
La Nation n° 2005 14 novembre 2014

Les fêtes religieuses, comme beaucoup d’autres événements de notre calendrier, ont une histoire et, parfois, soulèvent des enjeux politiques et diplomatiques. La Présentation de Marie au Temple, célébrée en Occident depuis bientôt 650 ans, est de celles-ci. Même si elle commémore un événement antérieur à la naissance du Christ, il aura fallu près de quatorze siècles pour que Rome lui consacre un office.

Cela s’est fait sous l’impulsion d’un homme de grande envergure. Figure peu connue du XIVe siècle, Philippe de Mézières est d’abord un voyageur. On peine à imaginer les milliers de kilomètres que l’on peut parcourir alors, sans les facilités que nous connaissons maintenant. Pourtant, les contacts humains entre les peuples de la Méditerranée sont très nombreux. Pèlerinages, croisades, conquêtes, commerce: un trajet de quinze kilomètres tout comme la traversée d’une mer représentent un voyage, une expédition vers un ailleurs. La littérature foisonne sur ce sujet. Au musée de Cluny, à Paris, on peut jusqu’en février 2015 visiter l’exposition «Voyager au Moyen Age».

Philippe de Mézières est par exemple une des personnes qui permit au roi de France Charles V d’avoir une meilleure connaissance de l’Orient. C’est d’ailleurs certainement l’une des raisons pour lesquelles le souverain l’a appelé à ses côtés en 1372 afin d’exercer la fonction de conseiller royal et de précepteur du dauphin, le futur Charles VI.

Fort de son expérience de diplomate à travers l’Europe chrétienne et de chancelier du roi de Chypre, Philippe de Mézières revient en Occident avec le grand désir d’y instaurer la fête de la Présentation de Marie au Temple, célébrée en Orient depuis le VIe siècle. Fondée sur des textes apocryphes, cette fête trouve son origine à Jérusalem: le 21 novembre correspond à la dédicace de la basilique Sainte-Marie-la-Neuve (la Nea) en 543. Elle est ensuite célébrée à Constantinople au VIIe siècle.

L’adoption d’une fête de l’Eglise grecque orthodoxe par l’Eglise latine pourrait paraître improbable au XIVe siècle. Elle est au contraire la preuve d’un désir d’ouverture diplomatique envers les Grecs, à une époque où les deux Eglises cherchent la réconciliation, entre autres dans un besoin mutuel face à la menace ottomane. Dans l’esprit de Philippe de Mézières, la fin du schisme concourt à l’organisation de la croisade. Une chrétienté unie sera plus forte pour reconquérir les lieux saints. La célébration en Occident d’une fête venue d’Orient participe ainsi de cet effort de rapprochement entre les chrétiens.

En 1370, c’est à Venise que Philippe œuvre en faveur de cette fête. Il a déjà offert à la Scuola San Giovanni Evangelista de Venise une relique de la Sainte Croix (on peut toujours l’y admirer), héritée du religieux Pierre Thomas, qui se l’était fait remettre par des chrétiens de Syrie. Cette relique est à l’origine du cycle des teleri, œuvres picturales représentant les différents miracles opérés par la relique entre les XIVe et XVe siècles.

Proche du pape Grégoire XI, Philippe poursuit avec succès son action à Avignon en 1372. L’année suivante, le Collège de Navarre est le premier à célébrer la Présentation de la Vierge à Paris, sur l’invitation de Charles V. Institutionnalisée en 1585, cet épisode de la vie de Marie est toujours fêté par l’Eglise catholique.

Dans l’esprit de Philippe de Mézières, l’Orient a une double fonction: source de la lumière, il est aussi la destination spirituelle finale de l’homme. Son œuvre littéraire dévoile la dimension symbolique de l’Orient, dont il reste imprégné jusqu’à la fin de sa vie. Une date à l’apparence plutôt banale de notre calendrier révèle ainsi des secrets insoupçonnés, lorsque l’on gratte les vieux manuscrits qui les renferment.

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