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L’aménagement fédéral du territoire

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2012 20 février 2015

C’est une première. L’Office fédéral du développement territorial a recouru à la fin de l’année dernière contre deux décisions de Mme de Quattro, cheffe du Département du territoire et de l’environnement, d’approuver des modifications des plans d’affectation des communes d’Orbe et Cheseaux, dûment validées par les conseils communaux. Il s’agissait à chaque fois d’agrandir modestement une zone industrielle et artisanale pour permettre le développement des entreprises existantes dans la commune et d’en accueillir de nouvelles. On doit en effet constater que ces zones se raréfient à la périphérie des villes car elles sont de plus en plus vouées à la construction de logements. Des entreprises qui ne trouvent pas de terrain pour s’établir iront s’implanter ailleurs. Il est donc du devoir du Canton et des communes de veiller à mettre à disposition suffisamment de terrain constructible pour ce genre d’activité.

C’est l’un des premiers effets visibles est très contraignant de la révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) qui est entrée en vigueur le 1er mai 2014. Depuis cette date, la Confédération contrôle de façon beaucoup plus serrée toute la planification directrice cantonale et, par-là, toute la chaîne de l’aménagement du territoire qui va jusqu’aux plans d’affectation (plans des zones) communaux. Les dispositions transitoires de cette modification imposent aux cantons que la surface totale des zones à bâtir légalisées n’augmente pas jusqu’à l’adoption d’un nouveau plan directeur cantonal approuvé par le Conseil fédéral, et ceci dans les cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la modification. Après avoir soutenu la modification de la LAT, le Conseil d’Etat vaudois a tenté d’obtenir de Mme Leuthard une application souple de la loi, mais en vain. Le texte légal est malheureusement très clair et il fallait être naïf pour penser qu’il pourrait être appliqué différemment.

Théoriquement, la modification législative n’a pas d’effet direct sur les plans de zone. Mais, par le biais des plans directeurs, la Confédération peut figer les plans cantonaux et communaux. Il devient impossible de créer de nouvelles zones à bâtir empiétant sur la zone agricole.

Mais ce n’est pas tout. Le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication a décidé d’aller plus loin en soumettant à la consultation une deuxième étape de révision de la LAT. On aimerait lire «seconde». Mais on ne s’arrêtera visiblement pas là. Pourtant, la révision entrée en vigueur le 1er mai 2014 semblait déjà avoir dépassé les bornes de la constitutionnalité. L’article 75 de la Constitution fédérale, donne en effet compétence à la Confédération de fixer les principes applicables à l’aménagement du territoire, celui-ci incombant aux cantons.

Cette nouvelle modification soumise à consultation jusqu’au 15 mai 2015 centraliserait l’aménagement du territoire en Suisse. Elle le ferait principalement par le biais des plans directeurs, qui sont précisés et étendus, ainsi que par le biais des plans sectoriels de la Confédération. Mais il y a aussi d’autres extensions. Nous ne procéderons pas ici à une recension laborieuse et effrayante. Nous nous bornerons à quelques éléments qui montrent l’ampleur de l’emprise fédérale souhaitée, au détriment des cantons et des communes:

  • Il faudrait encourager l’intégration des étrangers, ainsi que la cohésion sociale.
  • Pour obliger les communes et les cantons à collaborer, on créerait une notion nouvelle qui est «l’espace fonctionnel», par quoi il faut entendre des «territoires qui sont étroitement imbriqués et complémentaires du point de vue économique, social et écologique», donc sans tenir compte des frontières.
  • Il faudrait prendre les mesures propres à contribuer à une offre suffisante de logement pour les ménages à faibles revenus.
  • Il conviendrait de privilégier l’optimisation des infrastructures de transport existantes plutôt que leur extension par la création de nouvelles infrastructures.
  • Les cantons devraient fournir tous les quatre ans un rapport à la Confédération sur le développement de leur territoire et la mise en œuvre de leurs plans directeurs.
  • La Confédération, les cantons et les communes devraient élaborer ensemble une stratégie pour le développement territorial de la Suisse. Sur la base de cette stratégie, la Confédération élaborerait, en collaboration étroite avec les cantons et les communes, y compris les villes, sa politique des agglomérations et sa politique pour les espaces ruraux des régions de montagne.
  • Les conceptions et les plans sectoriels, qui sont élaborés par la Confédération, auraient dorénavant force obligatoire pour toutes les autorités.
  • Il y aurait de nouveaux plans directeurs fédéraux, soit le plan directeur en matière de transports, le plan directeur dans les domaines de l’agriculture, de la forêt, de la nature et du paysage, ainsi que des dangers naturels, le plan directeur en matière d’énergie, d’approvisionnement et d’élimination des déchets, le plan directeur dans le domaine du sous-sol, le tout complété par d’autres études de base et planifications, comme la stratégie de développement territorial suisse, les projets d’agglomérations les conceptions de développement économique cantonales et régionales, la conception de développement des énergies renouvelables et les planifications communes.
  • La définition de la surface d’assolement, qui bloque actuellement de nombreuses modifications des plans d’affectation, serait rendue beaucoup plus stricte avec des compensations obligatoires.
  • Pour garantir à long terme la disponibilité d’espaces pour des infrastructures d’intérêt «national», la Confédération, ou plutôt le Conseil fédéral, pourrait définir précisément, dans un plan sectoriel spécifique, les espaces nécessaires à cette fin.
  • Même en matière de plan d’affectation, les cantons seraient soumis à des exigences supplémentaires.
  • Tous le domaine des constructions hors de la zone à bâtir, déjà complexe à l’heure actuelle, serait complètement remodelé alors que les modifications les plus récentes n’ont pas encore été complètement intégrées dans la pratique.
  • Les possibilités de développement des entreprises agricoles seraient sérieusement entravées.
  • La LAT imposerait aux cantons d’infliger des peines privatives de liberté jusqu’à trois ans en cas de violation des règles concernant les constructions hors de la zone à bâtir.
  • La loi sur la protection de l’environnement serait également modifiée et obligerait les cantons à prendre en compte de façon très contraignante dans leurs nouvelles planifications leurs incidences, même seulement vraisemblables, sur l’environnement.

On a la fâcheuse impression, à la lecture de cet avant-projet, que les régions et les cantons qui ont connu l’apogée de leur développement il y a quelques décennies, notamment dans la région de Zurich, souhaitent geler des territoires qu’il s’agit de conserver pour l’agriculture, la beauté des paysages et le délassement.

L’aménagement du territoire doit rester une compétence cantonale. La Confédération doit respecter la Constitution fédérale. Cet avant-projet doit être clairement rejeté. Chacun peut manifester son opposition en adressant une lettre courroucée à l’Office fédéral du développement territorial, que l’on s’habitue de plus en plus à baptiser ARE, soit l’acronyme alémanique de cette entité administrative dont l’adresse est tout simplement 3003 Berne.

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