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La laïcité religieuse

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2014 20 mars 2015

La France est la seule démocratie occidentale dont l’identité politique moderne s’est construite contre la religion.

(Manuel Valls, le 3 mars dernier, présentant à Strasbourg la nouvelle formation des imams)

En théorie, la laïcité est une organisation de la vie en communauté qui vise à empêcher la société et la religion d’empiéter l’une sur l’autre. Elle le fait en neutralisant l’espace public et en restreignant l’exercice de la religion à la sphère privée: chacun pratique librement sa religion en privé et, en public, vaque non moins librement à ses affaires professionnelles, associatives, sportives ou autres.

Le problème, c’est que cette stricte séparation du temporel et du spirituel fait l’impasse sur le caractère universaliste et exclusif des religions chrétienne et musulmane, lesquelles s’adressent l’une et l’autre «à tous les hommes et à tout l’homme», pour reprendre une formule des années 1970.

«A tous les hommes», cela veut dire que ces religions sont spontanément missionnaires. Certains diront «conquérantes», ce qui est particulièrement vrai de l’islam, dont le livre saint fusionne énergiquement le religieux et le politique. Quoi qu’il en soit, c’est un devoir pour les fidèles des deux religions de s’efforcer de convertir les adeptes des autres religions, les incrédules et les indifférents.

«A tout l’homme» signifie que la religion touche de près ou de loin tous les domaines humains, y compris la politique. Quand une religion est forte, elle inspire les mœurs et les mœurs fondent les lois. Ce mécanisme naturel répond à notre besoin fondamental d’unité.

Dès lors, la division laïque de la société représente pour le croyant une mutilation religieuse qui l’empêche de vivre pleinement sa foi. Aussi la laïcité lui apparaît-elle fatalement comme une religion concurrente. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’elle est?

Car la laïcité ne doit pas être confondue avec la tolérance religieuse que l’Edit de Nantes accordait au culte protestant, ni avec la neutralité religieuse observée par la Confédération suisse, ni même avec l’indifférence religieuse du monde occidental moderne. La laïcité plonge ses racines dans la lutte sanglante que les Lumières ont conduite contre le christianisme.

Qu’elle se soit construite contre la religion, comme le dit M. Valls, ne l’empêche pas de présenter toutes les caractéristiques d’une religion. Elle est elle aussi universaliste, elle s’adresse elle aussi à tous les hommes et à tout l’homme. Rejetant Dieu, elle n’en vénère pas moins l’espèce de semi- transcendance que sont les «valeurs républicaines»: le rationalisme, le multiculturalisme, l’internationalisme, l’étatisme et quelques autres.

La laïcité aussi est missionnaire. L’évolution des lois françaises le montre, la ligne de séparation qu’elle trace entre la société civile et la religion ne cesse d’avancer et de restreindre le champ religieux proprement dit.

Ainsi, la sphère privée à laquelle la laïcité restreint l’exercice de la religion fut jusqu’à maintenant celle de la famille. On peut craindre qu’elle ne se voie peu à peu réduite à la sphère individuelle. Un enseignement familial religieux en désaccord avec l’école laïque ne représente-t-il pas, en effet, une intolérable intrusion parentale dans la vie personnelle de l’enfant? L’Etat laïque a le devoir d’intervenir.

La laïcité aussi a ses rites. Le gouvernement français a décidé que la Fête de la laïcité aurait lieu tous les 9 décembre, rappel de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

La laïcité a son clergé. Dès cette année, plus de mille enseignants vont se répandre dans la nature scolaire pour y prêcher la bonne nouvelle laïque. Les paroles et les comportements non conformes devront être dénoncés, poursuivis et sanctionnés. Car la laïcité a aussi ses bigots, ses délateurs et son inquisition.

On comprend qu’une religion minoritaire revendique la laïcité, jugeant qu’une pratique restreinte au privé vaut mieux que l’interdiction pure et simple, voire les persécutions. Chrétien en Arabie Saoudite, je préférerais aussi cent fois un pouvoir laïque à un pouvoir religieux.

En revanche, on aimerait que l’Eglise majoritaire, inspiratrice séculaire de nos mœurs et gardienne du dépôt de la foi, résiste mieux à une laïcité qui l’évacue progressivement de la vie publique. On aimerait que des philosophes mettent en question cette pensée mutilante qui déchire l’être humain en deux, le citoyen d’un côté et le croyant de l’autre. On aimerait encore que des politologues critiquent une conception politique qui se donne pour objet, non une communauté historique et territoriale, mais un catalogue de «valeurs» aussi imprécises qu’inutilisables.

On aimerait enfin – on a le droit de rêver – que la laïcité exige, au nom même de ses principes, que les médias et le monde officiel cessent d’encombrer de leurs prédications laïques l’espace public qu’elle est censée avoir neutralisé.

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