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Jean Perrin, musicien vaudois

Jacques Perrin
La Nation n° 2014 20 mars 2015

A cause de son patronyme et de son prénom (le même que celui de mon père), je me suis intéressé à la musique de Jean Perrin (1920-1989). Je me suis familiarisé avec les œuvres enregistrées, d’un accès difficile, mais qu’on finit par savourer: le De Profundis, le quatuor, les pièces pour piano, les concertos pour violoncelle, pour piano, pour violon, la troisième symphonie.

Quelle ne fut pas ma surprise, en fouinant dans l’unique librairie de Morges, de tomber sur ce qu’il est convenu d’appeler un «beau livre», de ceux qu’on offre à Noël. Celui-ci a été conçu et écrit par Antonin Scherrer, excellent musicologue. Il a paru en décembre 2013 aux éditions Infolio. Il semble qu’aucun de nos chers quotidiens n’en ait soufflé mot… Sur la couverture en noir et blanc, à contre-jour, on voit Jean Perrin au piano. Le livre est illustré de vignettes, de photos, de reproductions de partitions et de programmes, de portraits des célébrités qui ont compté dans la vie du compositeur. Un CD annexé présente divers extraits des œuvres principales; on entend aussi la voix de Perrin.

Jean Perrin, originaire de Vuiteboeuf, issu d’une famille protestante française émigrée à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, naît d’un père vaudois (Marius) et d’une mère zuricoise, Julia (née Rathgeb). Dans la Revue musicale de Suisse romande, Pierre Hugli l’appelle «un Vaudois de vieille souche». Jean-Jacques Rapin écrit quant à lui (p.165): Jean Perrin, comme d’autres Vaudois et parmi eux avant tout Gustave Roud, était marqué par notre double ascendance rhodanienne et nordique. Il entrait de plain-pied dans l’univers romantique allemand […].

Avant de devenir compositeur, Perrin est un pianiste virtuose, admirateur d’Alfred Cortot et d’Edwin Fischer, trop émotif pour faire carrière, et de plus handicapé deux ans par les séquelles d’une fracture à un bras.

Il étudie le latin et le grec à l’Université de Lausanne tout en fréquentant le Conservatoire. Il ne cesse de composer, mais ne parvient à être joué qu’après ses trente ans. Discret, modeste, manquant de confiance en soi, sans épouse ni enfants, consentant à la solitude du créateur comme Ramuz à Paris, rebuté par les problèmes pratiques et administratifs, il doit compter sur ses proches pour faire connaître son talent. Sans son ami Jean Balissat (qui organise des journées football-jass-fondue pour Perrin et le chef d’orchestre Charles Dutoit!), sans les recommandations d’Alfred Cortot, sans Victor Desarzens qui interprète son Concerto grosso avec l’OCL, sans Jean-Marie Auberson qui lui ouvre les portes de l’OSR, sans le pianiste Jean-François Antonioli qui joue et dirige plusieurs de ses cinquante-cinq numéros d’opus, Jean Perrin serait volontiers resté dans l’ombre.

Non content d’être pianiste, corniste (ce qui explique sa facilité d’écriture pour les cuivres) et compositeur, Jean Perrin écrit beaucoup. Dès les années 1940, Aloÿs Fornerod l’encourage à exercer la charge de critique musical, d’abord à la Tribune de Lausanne, puis à la Gazette. C’est l’époque où il est possible d’écrire une page entière sur le concerto pour piano de Schumann dans l’un ou l’autre des quotidiens vaudois. Dès 1962, Perrin rédige les notices des concerts de l’OCL.

La musique de Jean Perrin est souvent sombre, mélancolique, tourmentée; c’est son côté romantique. La poésie allemande l’attire, il aime Schumann. Il ne dédaigne pas l’influence française, appréciant surtout le dernier Fauré, celui des ultimes Nocturnes, de la seconde Sonate pour violon et piano, du Trio. Il a étudié à Paris auprès de Nadia Boulanger et de Darius Milhaud à qui tout l’oppose pourtant. Il aime aussi Bartók, Stravinski et surtout Alban Berg.

Jean Perrin nous éclaire lui-même sur la facture de sa musique (p. 101): Je suis resté un classique et un romantique à une époque où on l’est peu […]. Il ne s’agit pas d’échapper à son époque […], mais de ressentir […] ce point de rencontre mystérieux, inhérent à chacun, qui, unissant des forces complémentaires et parfois opposées, réalise notre expérience spirituelle de la vie. Que j’écrive une musique tonale souvent, parfois atonale ou polytonale, avec des pointes de langage sériel, est un problème d’ordre technique. Tous les modes d’écriture sont possibles, car l’unité existe au-delà des diversités. Le véritable problème, d’ordre moral et psychologique, demeure pour le compositeur et pour chacun de nous, sa réalité intérieure et unique.

La réalité intérieure… Celle de Jean Perrin est certes imprégnée de son appartenance au Pays de Vaud, mais il n’a destiné aucune partition aux chorales vaudoises à part un Dona Nobis Pacem pour chœur d’hommes à quatre voix, donné à l’occasion de la Fête des chanteurs vaudois de 1981. A ce propos, il écrit pourtant (p. 75): Le chant choral est, en terre vaudoise, l’expression même de l’âme populaire. […] Le chant a donné au peuple vaudois le sens de sa terre et représente en quelque sorte le symbole de sa vie. Il lui a donné le goût de l’effort et lui a montré la valeur d’une responsabilité collective. […] Le chant représente, pour l’esprit individualiste des Vaudois, une forme supérieure de discipline collective et de maîtrise de soi-même. […] Il est peut-être le meilleur moyen d’expression d’un peuple qui ressent fortement les choses, mais répugne à les traduire trop aisément par des mots.

Parmi toutes les sources auxquelles Perrin, musicien et croyant, s’est abreuvé, c’est Bach qu’il faut mettre au premier rang, dont l’influence est sensible dans les œuvres qui tenaient le plus à cœur au compositeur, comme le De Profundis : Ma foi est bien réelle, dit Perrin (p. 178), il me faut d’autant plus la nourrir – le croyant doute plus que tout autre […]. Je pense que la musique qui touche au cœur est d’essence éternelle. Lorsque la communion avec autrui se fait sur un plan non contraint et sans violence, qu’elle s’impose avec le naturel d’un don d’amour, alors la substance transmise ne peut se perdre, s’user avec le temps. Car l’homme est fait pour échanger: sans cela la vie n’a aucun sens.

Sur ces mots s’achève le livre d’Antonin Scherrer, qui contribue non seulement à assurer la postérité d’un musicien très estimable, mais retrace aussi plus de soixante ans d’histoire de la musique en Pays vaudois.

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