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Tempête pascale sous un crâne de rédacteur en chef

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2014 20 mars 2015

Bon, les cocos, la fête de Pâques arrive, et j’ai toujours pas le sujet pascal qui accroche…

J’avais d’abord envisagé de revenir sur les objections scientifiques qu’appelle le récit de la résurrection. Ça se serait appelé «Quand on est mort, c’est pour longtemps». C’est toujours fascinant de voir les ecclésiastiques esquiver la question à coup de vertigineuses acrobaties métaphysiques. Mais on l’a fait cinq fois depuis que je suis dans la maison. Et le dernier qu’on a interviewé se croyait tellement obligé de s’aplatir que j’en avais mal aux lombaires pour lui.

En revanche, j’aurais bien aimé traiter le fait que la résurrection est un mythe obligé de toutes les religions. Le titre «Une élite d’immortels» aurait cartonné. Malheureusement, je sais de source sûre que c’est le thème de la concurrence.

Il y aurait bien sûr «La Bible sur le divan», une interprétation psychanalytique du récit de la résurrection. Un chrétien m’a soutenu qu’il ne fallait pas parler d’interprétation mais de filtrage… Bof… Quoi qu’il en soit, si le psy est un peu vicieux, le récit biblique est atomisé, et on assure le courrier des lecteurs pour toutes les vacances de Pâques.

Joseph Zisyadis, qui est docteur en théologie de la main gauche, me proposait de montrer, Capital en main (gauche également), que la résurrection est un événement collectif qui interviendra au lendemain de la révolution prolétarienne. Titre possible: «Le Grand Soir commence à quinze heures». Mais il avait vraiment l’air d’y croire, et j’aime pas trop les sectaires.

Y a aussi ce Reza Aslan, qui prétend que Christ était un révolutionnaire… Vous me direz que ce n’est pas nouveau, puisqu’en 1975, Richard Horsley nous faisait déjà le coup du chef de bande cherchant à établir une société plus égalitaire. Mais le plus, c’est qu’Aslan est musulman. On titrerait: «Pâques, une révélation musulmane…»

Un vieux libéral m’a proposé un article prouvant que Jésus est certes ressuscité, mais dans le cœur de ses disciples. J’aurais été preneur, sous le titre «Pour une résurrection morale», mais le type était vraiment trop exigeant financièrement.

Il y a aussi l’histoire du coup monté dans le jardin de Gethsémané, le Christ qui se carapate en Egypte où il devient un grand initié et crée le chat, tandis qu’un innocent gogo paie à sa place… Variante: c’est le frère du Christ qui a fait la doublure et se rend compte trop tard de la réalité du deal.

On pourrait aussi affirmer, d’autant plus péremptoirement que ça ne repose sur rien, du moins à ma connaissance, que les chrétiens n’ont cru à la résurrection qu’à partir du quatrième siècle, sous la pression d’une minorité réactionnaire du Saint-Siège… Titre: «Une foi sous influence».

Bon, il y a évidemment la femme du Christ. Vous savez, cette «découverte» récente d’un parchemin où celui-ci dit «ma femme». Certains prétendent que ce papier est un faux grossier, mais, qu’est-ce qu’on en sait? Ce jugement n’est-il pas lui-même un faux grossier, conçu dans les caves du Vatican? Soit dit en passant, j’aimerais qu’on me parle d’un faux qui ne serait pas grossier, un faux délicat, un faux raffiné… Bref, qu’est-ce que cela coûte de relancer l’affaire? Avec une bio insidieuse de Marie-Madeleine, un arbre généalogique un peu viril et sous le titre «Quota trinitaire», ça pourrait être vendeur.

Ou alors, affirmer que le récit de la résurrection enclenche une évolution humaniste et progressiste du monde qui aboutira à la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, ou de la femme par l’homme, ou de la nature par l’homme, ou du sud par le nord, ou des civils par les soldats, ou des soldats par les généraux, ou des généraux par le complexe militaro-industriel, enfin, selon le libre choix idéologique de chacun (qui est d’ailleurs toujours le même). Titre: «Un Christ de plus en plus juste».

Ou alors prendre le contrepied et ne pas parler du tout de Pâques, évoquer plutôt la Pâque juive, qui a le privilège de l’antériorité, le Ramadan, le premier mai, les fêtes du solstice des néopaïens européens, ressortir d’antiques traditions préchrétiennes, voire préjudéochrétiennes, qui montrent que les Juifs et les chrétiens se sont approprié sans droit des récits sumériens. Titre: «La religion primordiale». Ou demander à un marabout numérologue de nous faire les chiffres du Christ («Quand on aime, on compte»)… Ou relire Nostradamus annonçant que le Messie reviendra dans quinze cents ans, trois mois et deux jours («Un signe clair»). Ou faire une interview croisée d’Elisabeth Teissier et de Hubert Reeves («Un Christ métascientifique»)… Ou demander à un prof de la Faculté de théologie et de science des religions en quoi tout est faux dans les Ecritures, en particulier la divinité de Jésus, sa résurrection, ses miracles et l’annonce de son retour («La résurrection n’a pas la masse historico- critique»).

Débrouillez-vous! Evitez juste de parler de la Résurrection au premier degré et avec une majuscule. Il ne faut pas choquer l’éventuel lecteur musulman lambda et surtout les «observatoires» de l’islamophobie, assez pointus sur tout ce qui pourrait choquer le musulman lambda…

Et grouillez-vous, parce que dans neuf mois, rebelote avec Noël… L’année liturgique est courte.

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