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Frictions révélatrices

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2015 3 avril 2015

Lors de l’émission Forum du 22 mars dernier, Mme Astrid Epiney, la nouvelle rectrice de l’Université de Fribourg, a dénoncé les dérives du droit d’initiative fédérale et les frictions, c’est son terme, qu’elles engendrent. Elle propose carrément de supprimer l’initiative populaire fédérale «rédigée de toutes pièces» au profit de l’initiative «conçue en termes généraux», qui existe déjà mais qu’on n’utilise jamais.

Elle reproche aux initiatives rédigées de toutes pièces d’être contraignantes au point d’imposer jusqu’à leurs impropriétés au législateur. Les unes contredisent par exemple certains principes généraux du droit, comme l’initiative sur l’«internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables». D’autres sont rédigées aux quatre horreurs et truffées d’incertitudes juridiques, comme la récente initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires». Ces textes, introduits tels quels dans la Constitution fédérale, y engendrent l’incohérence et l’insécurité. Quant à l’initiative «Contre l’immigration de masse», on se rend compte que sa mise en œuvre nous imposera probablement la résiliation d’accords internationaux que nous avions pourtant demandés et signés.

Autant d’erreurs dues à l’amateurisme ou à l’aventurisme des lanceurs d’initiatives, autant de points de frictions à l’intérieur de la Constitution, entre les autorités et le peuple, entre la Confédération et les Etats voisins. Mme Epiney veut éviter ces frictions en réservant la rédaction des normes constitutionnelles aux plumes averties de l’administration fédérale et des parlementaires.

Le droit d’initiative, affirme-t-elle non sans raison, a été détourné de son but initial. La Nation a d’ailleurs dénoncé plus d’une fois la mainmise des grands partis sur ce droit qui n’est en principe pas conçu pour eux. On se rappelle ce secrétaire suisse d’un parti de gauche qui, annonçant le lancement de quatre initiatives, avouait sans la moindre gêne que les thèmes de deux d’entre elles devaient encore être trouvés…

Si nous partageons une bonne partie des griefs de Mme Epiney, nous ne pouvons nous rallier à sa proposition de supprimer l’initiative rédigée de toutes pièces.

D’abord, l’initiative conçue en termes généraux est un instrument compliqué et poussif. Il fonctionne par options successives: après que les cent mille signatures ont été déposées, le Parlement examine le texte, l’approuve ou le rejette. S’il l’approuve, il élabore une modification constitutionnelle dans le sens désiré par les signataires et la soumet au vote du peuple et des cantons. S’il la rejette, il la soumet telle quelle au peuple seul (sans les cantons). Si le peuple refuse, le texte retourne définitivement au néant. Si le peuple accepte, le Parlement procède comme s’il avait d’emblée approuvé l’initiative: il élabore une norme constitutionnelle et la soumet au vote du souverain. Qui a envie de mettre en service une telle usine à gaz?

Pour ce qui est de l’efficacité, l’initiative conçue en termes généraux se situe à mi-chemin entre la pétition et l’initiative rédigée de toutes pièces. Elle n’est que partiellement contraignante. Les parlementaires ne sont pas libres de faire n’importe quoi, mais leur marge d’interprétation, pour ne pas dire de dérapage, est importante.

Son avantage, argumente Mme Epiney, c’est que le Parlement reste le rédacteur ultime, ce qui assure l’homogénéité juridique de la Constitution. Cela même se discute. Nous renvoyons le lecteur à l’article de dernière page de M. Olivier Klunge, qui montre que le semi-professionnalisme de nos élus ne garantit pas non plus la cohérence et la proportionnalité des lois. Ne serait-ce pas que la dégradation, incontestable, de l’usage de l’initiative trouve son parallèle dans une dégradation équivalente du travail parlementaire?

Ce qui est sûr, c’est qu’une initiative proposant une modification de la mécanique institutionnelle proprement dite n’est pensable que rédigée de toutes pièces. L’article 89 bis de la Constitution fédérale (aujourd’hui l’article 165), par exemple, qui reconnaît sa pleine place au droit d’urgence tout en réservant strictement les procédures de contrôle de la démocratie directe, représente une synthèse unique de l’imagination institutionnelle, de la rigueur juridique et de la vision politique. Jamais l’Assemblée fédérale n’aurait pu l’inventer. Elle s’y était d’ailleurs fortement opposée à l’époque, comme le Conseil fédéral et son administration. Il est vital de réserver la possibilité de telles initiatives.

Enfin, les frictions, pour irritantes qu’elles soient, révèlent parfois des problèmes plus profonds. Quand le châssis de la voiture grince, que le levier de vitesse se déboîte, que les freins chauffent, que le volant saute dans tous les sens et que les passagers chahutés commencent à donner de la voix, le conducteur peut à choix les faire taire en incriminant la voiture, ou alors se demander s’il n’est pas, peut-être, un mauvais conducteur nous emmenant sur un mauvais chemin et dans une mauvaise direction.

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