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Sicura è la via non la città

Olivier Klunge
La Nation n° 2015 3 avril 2015

Le renforcement des sanctions pénales de la loi sur la circulation routière (LCR) dans le cadre du programme Via Sicura est contesté, souvent par ceux-là mêmes qui réclament un durcissement du droit pénal général, en particulier du système des jours-amende.

Cette position à première vue contradictoire s’explique certes politiquement. Tel politicien libéral genevois sera électoralement plus proche des pilotes de bolides que d’altermondialistes casseurs et fumeurs de joints, alors que telle conseillère nationale verte soignera son discours anti-mobilité dure pour faire oublier qu’elle habite loin du réseau des transports publics.

La vraie contradiction se trouve cependant surtout dans le fait que deux théories pénales opposées sont appliquées par le même législateur sur le même territoire. Les buts classiques assignés au droit pénal sont la prévention générale, la prévention spéciale et la sanction. Cette dernière composante, liée à la vengeance, se fonde sur le principe moral que toute faute doit être punie, que le pécheur doit payer pour ses vices. Depuis les Lumières et Cesare Beccaria1, puis la laïcisation du droit pénal, la sanction perd progressivement son caractère autonome de justification de la peine.

La prévention spéciale cherche à ce que celui qui commet une infraction ne récidive pas. La prévention générale vise au respect de l’ordre juridique par l’ensemble de la population. En sanctionnant certains agissements et en le publiant, on dissuade le plus grand nombre de les commettre. On impose également l’idée que l’Etat agit pour le maintien de l’ordre public en encourageant les comportements conformes.

En Suisse, depuis plusieurs décennies, l’individualisation des peines s’est imposée avec l’idée que le criminel ne devait pas «payer pour les autres», que chacun devait être condamné à la peine adaptée à sa situation particulière, dans le but de favoriser la réinsertion sociale. Les juges suisses ont donc mis en avant la prévention spéciale. Dès lors, les tribunaux pénaux prennent grand soin de déterminer les circonstances personnelles qui ont amené chaque prévenu à commettre son délit. L’incapacité de discernement, passagère ou durable, tient en bonne place dans ce contexte, justifiant très souvent une diminution, voire une exemption de la peine. On va jusqu’à vouloir éviter toute stigmatisation des condamnés. Or, lier une condamnation pénale à une certaine réprobation sociale est un élément essentiel de la prévention générale.

En matière de circulation routière au contraire, Via Sicura a introduit des peines sévères et incompressibles, l’incapacité de discernement étant une circonstance aggravante2. On ne se demande pas si l’étudiant d’une école internationale flashé à 200 km/ heure sur la rade de Genève ne souffre pas d’un syndrome d’abandon dû à la fréquentation dès son plus jeune âge de pensionnats loin de l’amour maternel. On n’étudie pas l’idée de l’inscrire, aux frais du contribuable, à des courses automobiles sur circuit pour lui permettre de canaliser ses pulsions de vitesse, évitant qu’il ne les assouvisse sur la route. On paie pourtant des cours de boxe thaï à un mineur castagneur récidiviste.

La répression des infractions de la route est donc principalement fondée sur la prévention générale. Le but du programme Via Sicura est: zéro mort sur les routes. Il s’agit donc de décourager tout comportement déviant par des sanctions extrêmement sévères, appliquées selon des barèmes fixes et assurant une visibilité maximum aux condamnations. On n’hésite pas à stigmatiser les contrevenants en diffusant des données permettant aisément à leur entourage de les reconnaître, alors qu’on ne donne plus la nationalité des trafiquants de drogue condamnés.

Nous peinons à comprendre cette schizophrénie du législateur. Pourquoi ne pas mettre en place un programme «Città Sicura» visant zéro victime de cambriolage et/ou zéro mort d’overdose. Il s’agirait de prévoir des peines sévères incompressibles, de harceler les contrevenants, y compris avec des moyens techniques. Lorsqu’un contrevenant serait appréhendé, son téléphone portable et son ordinateur, qui lui ont permis de commettre son infraction, seraient immédiatement confisqués d’office. On pourrait même imaginer équiper à vie les contrevenants d’un bracelet épiant leurs moindres faits et gestes, comme certains véhicules sont déjà équipés de boîtes noires.

Sur le plan de la théorie pénale, il n’y a aucune raison justifiant le traitement caricaturalement différent entre le droit pénal général et celui de la route. Evidemment, les poches des détenteurs de grosses cylindrées sont plus profondes que celles des malandrins.

Le législateur doit retrouver une certaine cohérence dans le traitement des infractions. Les dérives de l’Etat policier ne commencent pas une fois la voiture garée. La peur du gendarme doit être la même sur la chaussée et sur le trottoir.

Notes:

1 Des délits et des peines, paru en 1764.

2 Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les années 1950 encore, un état d’ébriété était une circonstance atténuante au pénal lors d’un accident de la route.

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