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UAPE: les communes piégées

Cédric Cossy
La Nation n° 2015 3 avril 2015

Dans un article curieusement intitulé «Familles», la Constitution vaudoise traite à l’art. 63 de divers thèmes, précisément extérieurs à celles-ci. L’alinéa 2 précise notamment que, «en collaboration avec les partenaires privés, l’Etat et les communes organisent un accueil préscolaire et parascolaire des enfants». Et c’est certainement animés des meilleures intentions que, en 2009, 71 % des Vaudois ont surenchéri en acceptant l’art. 63a traitant de l’école à journée continue: «En collaboration avec l’Etat et les partenaires privés, les communes organisent un accueil parascolaire surveillé, facultatif pour les familles, sous forme d’école à journée continue dans les locaux scolaires ou à proximité, pendant toute la durée de la scolarité obligatoire.»

L’ajout de ce nouvel article est à plusieurs titres une mauvaise affaire pour les communes. Si l’art. 63 leur attribuait les tâches d’exécution conjointement avec le Canton, l’art. 63a leur en laisse désormais seules la charge. Alors que l’actuelle loi cantonale sur l’accueil de jour des enfants (LAJE) impose l’accueil parascolaire jusqu’à l’âge de douze ans, le nouvel article étend cet accueil à tous les élèves en âge de scolarité. Enfin, avec la journée continue, on ne parle pas seulement d’accueil parascolaire, mais aussi de cantines et d’autres infrastructures. De tels équipements ne se conçoivent qu’au sein de grands établissements scolaires. Tout ceci va pousser à la fermeture des petits collèges de campagne et à la construction de nouveaux complexes.

Pour l’heure, aucune loi sur l’école à journée continue n’a encore été adoptée. Pour l’instant, les autorités cantonales encouragent poliment, mais fermement, les communes à se doter au plus vite d’unités d’accueil pour élèves (UAPE) et de cantines scolaires. Mais la création de telles unités n’est pas une mince affaire. Les locaux, tout d’abord, doivent répondre aux normes fixées par la LAJE, sa directive d’application et les règlements correspondants, subsidiairement par la loi fédérale sur les aides financières à l’accueil extra-familial pour enfants si on espère un subside. Ces documents définissent très précisément les surfaces minimales par enfant, la hauteur des parapets et des rebords de fenêtres (obligatoirement en verre de sécurité), la surface minimale de ces dernières, la nature du revêtement de sol, le mobilier, l’aération des locaux, etc. Ceci ne serait encore rien sans le respect des directives de prévention contre l’incendie (plans d’évacuation, largeur des chemins de fuite, disposition des moyens d’extinction…) et les normes du service cantonal de l’hygiène (nombre de WC et de lavabos). Le respect de ces nombreuses règles renchérit donc significativement la construction de telles unités et exclut généralement la transformation et la mise aux normes de locaux existants.

Une commune qui disposerait de commodités d’accueil conformes n’est pas encore au bout de ses peines: les exigences administratives et pédagogiques liées à l’exploitation de l’unité, décrites dans les mêmes lois1, directives et ordonnances, définissent le nombre de personnes nécessaires à l’encadrement, leur formation et leur qualification. A l’exception des grandes communes, les municipalités optent pour le recours à un partenaire privé, actif dans la branche, pour recruter et administrer le personnel nécessaire au fonctionnement de l’UAPE. Les frais de fonctionnement sont donc importants.

L’application de toutes ces contraintes amène le coût d’une place en UAPE à un montant annuel à cinq chiffres. Les communes sont théoriquement libres de facturer intégralement ces coûts aux parents des enfants accueillis, mais, dans la pratique, elles ne le pourront pas, faute à la concurrence de structures entièrement privées et au risque de renonciation à l’accueil – facultatif – pour des raisons pécuniaires. Même si un tarif progressif en fonction du revenu des parents est instauré, les communes sont condamnées à subventionner leur UAPE.

L’affaire va se corser lorsque l’école à journée continue sera vraiment introduite: quelles seront les exigences de la loi et des règlements d’application? Combien de places seront alors vraiment nécessaires? On peut s’attendre à la réduction de la durée des pauses de midi et à la suppression de bon nombre de transports scolaires à cette même heure. Cette évolution obligera de fait certains parents à recourir aux UAPE ou à la cantine, car il sera impossible pour leurs enfants de revenir à la maison à la mi-journée. Certains parents refuseront les factures, ne se laissant pas imposer un accueil qui est constitutionnellement facultatif, mais inévitable pour des questions d’organisation. Et si le cas fait jurisprudence, les communes se verront forcées, pour des questions d’équité, d’accorder finalement, du moins pour la pause de midi, la gratuité des UAPE.

Alors que le Canton définit tant les nécessités que les conditions d’exploitation de l’accueil parascolaire, les communes se retrouvent piégées pour sa mise sur pied, retardant autant que possible des investissements et les charges d’exploitation corollaires qu’elles savent être au-dessus de leurs moyens. Du côté des parents, c’est la grogne: les belles promesses faites lors des votations de 2009 ne sont toujours pas tenues et ne sont pas près de l’être!

Notes:

1 La LAJE et ses annexes utilisent systématiquement le féminin pour désigner les fonctions correspondantes. Le service de l’égalité n’a apparemment pas encore mis son nez épicène dans ces documents.

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