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Charles Béguin, Vaumarcus et les Cahiers protestants

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 2015 3 avril 2015

Cent ans déjà! C’est en effet en 1915 que le pasteur Charles Béguin donnait le coup d’envoi aux Camps de Vaumarcus, installés aux confins des Cantons de Vaud et de Neuchâtel. Des milliers de jeunes unionistes les ont fréquentés et d’illustres orateurs – théologiens, philosophes, hommes politiques – ont contribué à y former une élite au sein du protestantisme romand. Homme de foi et figure charismatique du mouvement unioniste romand, Charles Béguin sera aussi le fondateur et l’animateur des Cahiers protestants et, à l’instar de M. Marcel Regamey en Pays de Vaud, l’un des artisans de la réunification des Eglises protestantes de son canton. Sa personnalité rayonnante et son œuvre méritent le détour.

Originaire de Rochefort, fils d’un modeste horloger, Charles Béguin voit le jour en 1883 à La Chaux-de-Fonds. Il fait des études de théologie à la Faculté indépendante de Neuchâtel et porte les couleurs de Belles-Lettres. Jeune tribun, il discourt sur les fontaines de La Chaux-de-Fonds en compagnie de Charles Naine; on le surnomme «le Mammouth». Il part pour l’Angleterre, où il subit la forte influence du révérend Sylvester Horne, animateur d’une très active fraternité d’hommes. C’est là que naît sa vocation pastorale. Consacré en 1906 en l’Eglise évangélique indépendante de Neuchâtel, il exerce le ministère à La Chaux-de-Fonds en qualité de suffragant du pasteur Pettavel, un homme qui va aussi beaucoup le marquer. Il devient ensuite pasteur de la paroisse des Planchettes, ce qui lui laisse le temps de préparer une licence en sciences sociales.

Dès 1910, c’est dans les camps du Sentier que sont formés les responsables des sections européennes de l’Alliance universelle des Unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG), institution créée à Paris sous Napoléon III et issue du Réveil. On s’y entretient de vie intérieure, d’évangélisation, d’éducation, de pacifisme. Et de 1912 à 1914, c’est là que le pasteur Béguin fait ses premières armes comme organisateur de camps. Il vient d’être appelé au poste d’agent des UCJG de Genève, Neuchâtel et du Jura bernois; il sera déchargé de celles de Genève assez rapidement. En 1913, il organise la grande fête trisannuelle qui voit accourir à Bienne mille sept cents unionistes de toute la Suisse romande. Riche de cette expérience et de celle acquise dans les camps du Sentier, il cherche un château comme centre de ralliement et, en pleine guerre, finit par obtenir gracieusement celui de Vaumarcus. A partir de juillet 1915, cet homme au tempérament de chef couvre la colline vaumarcusienne de campeurs; il y forme des personnalités, découvre des talents cachés, stimule des énergies latentes pour les enrôler au service du Christ. Au camp des aînés (le «Grand camp») viennent s’ajouter ceux des jeunes filles, des juniors, des adolescentes ou des cadettes, des éducateurs, des éducatrices, des camps bibliques et des Journées sociales qui fusionneront avec le Congrès du christianisme social à Genève. Dès 1924, Béguin réunit chaque hiver à La Sagne (puis aussi à Corgémont) les agriculteurs empêchés de venir à Vaumarcus en été. Dès 1930, Tavannes accueille le centre de ralliement des unionistes jurassiens pendant l’hiver. Ces camps se veulent «un essai de République chrétienne». Ils réunissent jusqu’à cinq cents participants de toute confession, dont près d’une moitié d’étudiants. D’Albert Schweitzer (1923) à Gustave Thibon (1954) en passant par Karl Barth, Denis de Rougemont et Jean-Rodolphe de Salis, la liste des conférenciers invités est impressionnante1.

«Une vie intellectuelle intense est une vie spirituelle normale», professe Béguin. Ses auditeurs seront parfois déconcertés par les fréquentes évolutions de sa pensée; sa foi, elle, restera «attentive au souffle puissant des affirmations barthiennes»2. Oui, mais pas aveuglément! Il est vrai que, dès 1919, Béguin signale à l’attention des jeunes théologiens le Römerbrief (première version) d’un Barth alors totalement inconnu. Barth raconte dans une lettre la visite qu’il lui fit en compagnie de Rudolf Pestalozzi, en mai 1920, à Peseux. Béguin s’informa à cette occasion des idées de Barth et en particulier de sa conception de la résurrection: «Je dus lui dire si je pensais réellement que la résurrection soit visible de mes yeux.» Sur la réponse affirmative de Barth, Béguin lui fit remarquer que, «compte tenu de la mentalité de cet heureux pays, il n’arriverait pas à grand’chose avec [cette] doctrine en Suisse romande». Les Romands étaient en effet «en pleine lutte contre l’orthodoxie et s’en tiendraient avec clarté et loyauté à la résurrection purement spirituelle ». Mais en 1920, comme le souligne le pasteur Bernard Reymond qui cite cette lettre, «Béguin n’aurait pas eu l’occasion de s’intéresser à la théologie dialectique à ce moment-là déjà si le hasard d’une parenté (R. Pestalozzi était son beau-frère) n’avait amené Barth lui-même dans son presbytère»3. Début 1939, Béguin publie quelques thèses de Barth dont l’une incite l’Eglise à «prier pour la répression et l’élimination du “national-socialisme” comme autrefois, devant des dangers analogues, elle a prié pour “l’effondrement des bastions du faux prophète Mahomet”». Béguin objecte: «Pourquoi les camper [ces thèses] face au seul “national-socialisme” allemand et non contre l’indivisible faisceau de tous les Etats totalitaires?»4

C’est pour faire profiter les Unions et le public des meilleures contributions présentées à Vaumarcus que Béguin crée en 1917 les Cahiers de jeunesse, devenus dix ans plus tard les Cahiers protestants. René Guisan, qui participe activement à la préparation et au déroulement des camps, rédige les éditoriaux pendant sept ans, mais c’est Béguin qui dirige et anime cette tribune du protestantisme romand jusqu’à sa retraite, en 1948, demeurant par la suite membre de son comité de rédaction. Retiré à Chailly-sur- Clarens, il passe les hivers à Nice où, le 3 janvier 1954, il succombe à une crise cardiaque. Sa tombe, au cimetière de Clarens, a été désaffectée en 2004.

Plusieurs pasteurs et missionnaires doivent à Charles Béguin, pour une bonne part, l’origine ou l’affermissement de leur vocation. «Vous m’avez appris que le renouveau de l’Eglise dépend du fait que des chrétiens restent jeunes et capables d’étonnement bien après leurs soixante ans passés»5, témoigne le pasteur Werner lorsque Béguin prend sa retraite. «Je ne connais dans nos milieux religieux aucun orateur qui eût un tel pouvoir de persuasion et d’entraînement», lit-on dans l’hommage que lui rend un unioniste à son décès. «Aucune encyclopédie ne gardera son nom, mais qu’importe, son œuvre est plus durable dans son anonymat que des milliers d’autres qui tombent en poussière», prophétise Paul Weber6. Bien vu! Le Dictionnaire historique de la Suisse fait totalement l’impasse sur cet éveilleur d’âmes qui a si fortement marqué la jeunesse et la presse réformée de Suisse romande dans la première moitié du siècle passé, mais les camps de vacances de Vaumarcus sont aujourd’hui bien vivants, avec notamment le Camp Junior et le Camp «Ouverture et Partage», destiné aux aînés. L’œuvre de Charles Béguin, portée par la Fondation Le Camp, que contrôlent les Unions chrétiennes romandes, continue de rayonner.

Notes:

1 Marc DuPasquier, Le Camp de Vaumarcus, V. Attinger, 1934; Paul Weber, Vaumarcus, 1915-1965, Bevaix, 1965; Ph. Roulet, «Vaumarcus a 50 ans», Les Cahiers protestants (CP), 1965 No B [sic]; Georges Verron, «Camp de Vaumarcus: 75 ans de présence rayonnante», Le Gouvernail, Saint-Blaise, 1990, No 5.

2 A. Werner, «Hommage à un vivant», Les Cahiers protestants, janvier-février 1954, pp. 15-24.

3 Lettre du 21 mai 1920 à Ed. Thurneysen (Briefwechsel I, p. 390), cité in: B. Reymond, Théologien ou prophète? Les francophones et Karl Barth avant 1945, L’Age d’Homme, 1985, pp. 20-21.

4 Ch. B. et K. Barth, «L’Eglise et la question politique d’aujourd’hui», CP, 1939, pp. 3 et 5; cf. aussi: Eric Werner, «Bastions», L’avant-blog (internet), 3 mars 2015.

5 A. Werner, «Un homme: Charles Béguin», Jeunesse, janvier 1954.

6 P. W., «† Charles Béguin», FA des Montagnes, 6 janvier 1954.

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