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Consensus, que de crimes…

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2026 4 septembre 2015

Le Centre patronal a 75 ans et est devenu consensuel», titre 24 heures1. L’auteur de l’article nous explique que le Centre Patronal «a mis de l’eau dans son vin»: «Il est loin, le temps des coups de gueule au sein de sa famille politique (? réd.).» Néanmoins, «au vu de la composition de l’organe qui joue le rôle de conseil d’administration – 35 membres exclusivement masculins – on a tout de même l’impression d’une institution qui traîne des reliques d’un autre temps». En résumé, la direction est bonne, mon petit, mais il y a encore du chemin avant la rédemption, c’est-à-dire ta résorption dans l’officialité politique.

L’article invite donc au consensus une institution dont la vocation est précisément de mener des combats de toutes sortes dans une perspective qui est aux antipodes des bricolages mous qu’inspire ordinairement l’esprit de consensus.

Sur le plan des principes, d’abord, pensons au chemin que le Centre Patronal doit se frayer à la machette intellectuelle dans la jungle des idéologies qui nous empoisonnent l’esprit. Les idéologues néo-libéraux, par exemple, dénoncent les accords sociaux comme autant d’entraves aux lois du marché, freinant l’introduction des nouvelles techniques, empêchant les restructurations nécessaires et faisant, par conséquent, monter les prix. Les idéologues socialistes, quant à eux, jugent que le dialogue entre les partenaires sociaux est trop sectoriel, trop aléatoire quant aux résultats et toujours à recommencer. A coups d’interventions parlementaires et d’initiatives populaires, ils s’efforcent de lui substituer la prétendue rationalité globale et définitive des canaux administratifs. Ces frères ennemis s’entendent parfaitement pour rejeter la notion de communauté professionnelle, qui est à la source même de l’action du Centre Patronal.

L’idéologie peut bien entraîner de grands maux, elle reste séduisante par sa simplicité, qui donne à chacun le sentiment de tout comprendre et de tout maîtriser. Le néo-libéralisme et le socialisme appellent donc, de la part du Centre Patronal, une contestation philosophique permanente et sans consensus possible.

Pas de consensus non plus en matière de dialogue syndical. Certes, la paix du travail constitue le cadre en principe indépassable des empoignades entre les représentants des patrons et des employés. Mais empoignades, il ne peut qu’y avoir. C’est même une nécessité consubstantielle à la relation syndicale. Car la solution n’est pas forcément donnée d’avance. Il arrive qu’elle s’invente, se développe et se conclue à travers le choc des arguments contradictoires. Cela exige, des deux côtés, des positions affirmées et tenues avec une rigueur et une vigueur en rien consensuelles.

De plus, une convention collective de travail impose des concessions aux deux camps. Cela représente forcément une déception par rapport à ce qui était espéré. Il faut donc que les troupes soient convaincues que l’accord a été acquis de haute lutte. A défaut, les mandataires seront soupçonnés de paresse, pour ne pas dire d’entente déloyale sur le dos de ceux qu’ils représentent. Pas question pour les syndicats ouvriers et patronaux de s’avachir dans un consensus de bons copains!

Face à l’interventionnisme étatique, l’esprit de consensus est encore moins de mise. L’Etat exerçant une vue globale et agissant sur la base de normes aveugles au cas particulier, sa pensée économique est naturellement planificatrice. Or, le caractère mouvant de la conjoncture impose aux décideurs de prendre fréquemment, sous peine de disparaître, des décisions imprévisibles, c’est-à-dire qui échappent par définition à toute idée de planification. Aussi, chaque intervention durable de l’Etat dans l’économie annonce-t-elle des complications inutiles et des effets paralysants pour les entreprises. Il faut la combattre par principe. Il le faut d’autant plus que l’Etat ne rend jamais ce qu’il a pris. Il n’y pas de paix, ni de consensus, dans cette guerre larvée.

Les méfaits de l’étatisme s’aggravent avec la centralisation fédérale. Sur le plan cantonal, l’Etat et les entreprises se connaissent. Elles se combattent au moins dans la même langue. Sur le plan fédéral, l’étatisme et ses tares passent à un niveau supérieur d’abstraction et de malfaisance. On applique aux francophones et italophones des normes pensées en allemand. Et leur mise en œuvre, on le voit dans les conditions d’attribution des marchés publics, privilégie cyniquement les entreprises germanophones. On peut, à l’extrême rigueur, espérer retrouver une liberté perdue dans les méandres de l’administration vaudoise. C’est inimaginable sur le plan fédéral.

Le combat contre la centralisation doit être mené sans merci, toujours, sur tous les sujets. Il arrive qu’on échoue. Le fait d’avoir livré la bataille prépare mieux la suite qu’un consensus à la noix où l’on finit par soutenir officiellement un projet qui nous fait perdre presque tout pour sauver presque rien – et en tout cas pas l’honneur.

Lutte de fond contre les idéologies individualiste et collectiviste, lutte dure et loyale avec les syndicalistes pour faire valoir les intérêts des patrons, lutte permanente contre l’étatisme visant à préserver l’autonomie des entreprises, lutte épuisante contre la centralisation pour défendre le pilier économique de l’autonomie politique vaudoise: de tout cela, le consensus est absent.

Notes:

1 Jean-Marc Corset, édition du 20 août.

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