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Le «Bünzli», héros national

Félicien Monnier
La Nation n° 2026 4 septembre 2015

La fin de l’été relance les élections fédérales, grande affaire politique de l’année. Le 1er août, l’UDC a démarré sa campagne au niveau suisse par la mise en ligne d’un clip vidéo1. Il met en scène une chanson intitulée en suisse-allemand «Wo e Willy isch, isch ou e Wäg». Difficile à donner, la traduction française révèle la perspective doctrinale de la vidéo: «Où se trouve une volonté se trouve aussi un chemin.» Une confusion s’orchestre avec Willy Tell, surnom de Willy Vogel, l’auteur, compositeur et interprète de la chanson, et diminutif évident de Wilhelm Tell. En outre, Willy est le nom de la mascotte actuelle de l’UDC, un bouvier bernois répondant au qualificatif de «Wachhund Willy», Willy le chien de garde.

Il ne dépendrait que de notre volonté de prendre le bon chemin. Celui- ci devra plonger ses racines dans la Suisse mythique des quatre Cantons et s’ancrer dans le monde rural du chien de troupeau. Voilà ce que chante dans une séquence Toni Brunner, chef du plus important parti de Suisse, tenant une peluche de bouvier bernois dans les bras, aux côtés d’un ministre de la défense ânonnant en se dandinant.

Les paroles – toutes en suisse-allemand – ne vont pas dans une autre direction. Après une aguichante accroche «Hey, üses Land isch wunderbar», elles invoquent le serment de 1291 et en proclament l’actualité malgré son caractère légendaire. La chanson affirme aussi la volonté d’indépendance, travail de tous les jours mais source de fierté pour tous les Suisses, nous chante Willy.

Ce dernier est un «Volksrocker» lucernois2. Il met des chemises criardes sur des jeans délavés. Ses cheveux décolorés sont portés en «coupe mulet», c’est-à-dire nuque longue, un style disparu depuis les années 1990. Animateur de fêtes villageoises en Suisse centrale, il ne quitte pas son petit accordéon aux couleurs des vaches noires et blanches.

Le style musical de Willy Tell est proche du «Schlager» allemand, bien que plus dynamique. Reconnaissons que la mélodie du clip est entraînante et qu’elle suscitera une folle ambiance sous les cantines.

Les images illustrent différents sujets. Plusieurs paysages sont mis en avant, sans que ne soient pour autant montrés des clichés helvétiques: pas de Jungfrau, pas de Pont de Lucerne, pas de Lavaux, pas de glacier, mais une vue peu connue des chutes du Rhin, un point de vue inhabituel sur le lac des Quatre-Cantons et une perspective peu grandiose du lac de Zurich. Le ciel n’est jamais complètement dégagé. Ce clip n’est pas une vidéo de Swisstourisme. Sa Suisse n’est pas parfaite.

Les scènes de la vie quotidienne sont rares. Du côté de la campagne, un troupeau de vaches se prélasse au soleil et une moissonneuse-batteuse verte coupe du maïs. Le tout est filmé avec un mauvais cadrage et donne un aspect général de vidéo amateur. On veut plonger les pieds dans le quotidien. Une scène rurale récurrente est celle de chiots bouviers bernois tapant du museau l’objectif de la caméra, que la ménagère ne manquera pas de trouver «très chou». Les images de vie citadines n’occupent que sept secondes des trois minutes de la vidéo. Plus variées que les images rurales, ce sont essentiellement des vues de Zurich, le hall de sa gare, un débarcadère, un arrêt de tram – la Suisse qui bouge – et un foodtruck, soit une camionnette de vente de repas à l’emporter, très à la mode chez les jeunes urbains.

Il s’agit donc de montrer une Suisse agréable à vivre, ni idyllique, ni dévastée par les zones industrielles et les villas du Plateau. Cette Suisse vit faiblement, tranquille et modeste, mais heureuse. L’UDC nous propose un nationalisme de pantoufles. Ce dont on doit être fier, c’est notre petit quotidien.

Bien peu pour fonder une fierté nationale.

En gros, l’UDC décrit ce qu’elle pense être l’idéal des classes inférieures. Ce qui ne manque pas d’être insultant. En dialecte alémanique, le Suisse décrit dans la vidéo a un nom: le «Bünzli». C’est le petit-bourgeois fier de son gazon et de son portrait dédicacé de Michaël Schumacher. Décrivant la mentalité du «Bünzli», un ami lucernois me disait: «Il écrit aux CFF pour se plaindre qu’un train est arrivé en avance.» Ce Suisse n’a que peu de perspectives culturelles. Son spectre d’intérêt historique se limite à sa sortie des contemporains sur la Voie suisse. Son art, c’est Willy Tell; ses hobbys, des balades sur des sommets nuageux aux sentiers mouillés.

Cette vidéo ne dévoile donc pas un programme politique. Elle alpague l’électeur en lui garantissant le maintien de son quotidien. Mais un parti confond le bien commun avec son propre intérêt, qui n’est autre que celui de gagner des sièges. Cette vision de la Suisse posée comme promesse électorale, il faudra bien la réaliser. Et c’est là tout le problème.

Cette Confédération est d’abord alémanique. Romands et italophones y sont considérés comme masse négligeable. Elle n’a pas d’autre ambition que de «traire sa vache et se tailler un plumet». Elle n’aspire à aucune grandeur, ni artistique, ni culturelle, et donc pas politique non plus. Permettre que l’homme puisse s’accomplir dans son travail, que l’artisan sublime la matière ouvragée, que l’artiste recherche le beau en soi n’est pas un objectif pour l’UDC.

Grande pourfendeuse de l’Islam, l’UDC ne montre pas un clocher d’église. Quant aux cantons, cadres historiques et naturels d’exercice des libertés, ils sont totalement absents du clip. On leur préfère un archétype socioculturel transcantonal, plus simple à viser aux élections fédérales qu’un corps constitué. A n’en pas douter, la législature sera centralisatrice. Espérons que les membres de l’UDC vaudoise réagiront vigoureusement contre cette vidéo. Elle les réduit au rang de supplétifs barbares.

Notes:

1 https://www.youtube.com/watch?v=qAwVFleHNXk

Il suffit de taper «SVP» dans la barre de recherche youtube. «UDC» ne donne aucun résultat probant.

2 www.willytell.ch 

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