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L’appel des généraux

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2174 7 mai 2021

L’heure est grave, la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent. Ainsi commence la lettre ouverte au président français, à ses ministres et au Parlement, signée par dix-huit généraux retraités ou «à disposition», comme on dit en Suisse. Cette lettre a été publiée le 14 avril sur le blog Place d’armes, puis reprise une semaine plus tard par l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Une centaine d’officiers supérieurs et de nombreux soldats, on parle aujourd’hui de quinze mille, l’ont contresignée.

Les signataires identifient trois menaces qui planent sur la France: la première est la haine croissante qui, sur fond d’ignorance et d’accusations réciproques de racisme, monte les Français les uns contre les autres, dénigre leur histoire, déconstruit leur culture et déboulonne leurs grands hommes; la seconde, c’est l’apparition d’enclaves non soumises au droit français, dominées par des mouvances islamistes et des hordes de banlieues qui livrent une guerre ouverte aux forces de l’ordre; la troisième, c’est le traitement injuste et brutal des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs, contrastant avec la mansuétude à l’égard des individus infiltrés et encagoulés [qui] saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre. La lettre vise non seulement le président actuel, mais aussi ceux qui l’ont précédé les trente dernières années.

Les généraux demandent que les lois soient mieux appliquées. Ils se disent disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. Ils dénoncent les louvoiements des politiciens et leurs silences coupables.

Ils concluent: Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers.

Selon un sondage, 58% des Français approuvent les généraux.

Le chef d’Etat major des armées, le général François Lecointre, successeur du général Pierre de Villiers, a réclamé la mise à la retraite d'office des signataires. Il a aussi déclaré au Figaro, à propos du général Piquemal, signataire et ancien chef de la Légion étrangère: Je vais lui envoyer une lettre pour lui dire qu’il est indigne, salit l’armée, la fragilise en en faisant un objet de polémique nationale. Le vieux baroudeur lui a répondu dans une lettre publique brutale qui se concluait par une formule de politesse inusitée: Avec mon profond mépris.

Les chefs de parti ont sauté sur l’occasion pour faire leur numéro, M. Jean-Luc Mélanchon pour dénoncer un appel à l’insurrection, Mme Le Pen pour féliciter les généraux et les appeler à rejoindre le Rassemblement national, Europe Ecologie Les Verts pour s’épouvanter face à une lettre qui en appelle à demi-mot à une prise de pouvoir des militaires en France et profère ouvertement des menaces contre la forme républicaine de l’Etat.

Le premier ministre Jean Castex a blâmé une initiative contraire à tous nos principes républicains, à l’honneur, au devoir même de l’armée.

Mme Florence Parly, ministre des armées, a jugé irresponsable cette lettre de militaires retraités, qui n’ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes.

La ministre de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher a déclaré: Je condamne sans réserve cette tribune d’un quarteron de généraux en charentaises qui appelle au soulèvement 60 ans jour pour jour après les putschs des généraux contre le général de Gaulle, tout cela n’est pas gratuit.

Le président Emmanuel Macron, qui aime pourtant rappeler, à temps et à contretemps, son rôle de chef suprême des armées, se tait.

Notre sentiment d’observateur très extérieur est double. D’abord, cette lettre était condamnée à une récupération électorale stérilisante. C’est d’ailleurs déjà fait. Ensuite, elle risque, à la mesure même de sa pertinence, de déclencher un mouvement de masse que les signataires ne maîtriseront pas. En outre, il n’est pas judicieux d’affaiblir l’armée en y suscitant des dissensions qu’on sait inévitables. Enfin, comment justifier cet autre désordre qu’est la mise en cause de l’autorité politique suprême par des autorités militaires qui lui sont subordonnées? L’unité interne de l’armée et son association étroite avec le pouvoir politique sont pourtant deux conditions de base de l’efficacité militaire et politique.

Le but exact de la manœuvre n’est pas clair. Certes, aucune personne honnête ne peut voir, dans l’appel à l’intervention de nos camarades d’active, qui ne fait qu’envisager, à titre d’ultima ratio, le recours de l’Etat à l’armée pour maintenir l’ordre, un appel au soulèvement ou l’annonce d’un putsch. D’ailleurs, un putsch ne s’annonce pas.

Mais alors, quoi? S’agit-il de faire entendre à toute la population un avertissement solennel que les «élites», dans leur tour d’ivoire, refusent d’entendre depuis trop longtemps? D’obtenir des partis qu’ils mettent plus de patriotisme dans leur programme? De contraindre le président Macron à changer de cap? Ou de convaincre le peuple de changer de président l’année prochaine?

En même temps (!), on admire ces hauts gradés, qui ont pris une décision patriotique en lui sacrifiant toute une vie d’obéissance, en risquant aussi de perdre leur droit de porter l’uniforme, voire leur pension. Qu’ils aient, à mi-chemin entre docilité et insurrection, choisi la cote mal taillée d’une lettre ouverte, cela montre qu’ils sont déchirés entre leur fidélité à l’Etat et leur certitude que cet Etat mène la France au désastre.

Le monde politique est sur les pattes de derrière. Il s’efforce de résorber l’événement à coups d’indignations surjouées (Castex, Mélanchon, EELV), de mépris désinvolte (Parly, Pannier-Runacher), de formalisme disciplinaire (Lecointre) et de silence (Macron). Ce serait pourtant la moindre des choses que le gouvernement profite de l’occasion pour répondre sur le fond, indépendamment des mesures que le Conseil supérieur militaire prendra à l’encontre des insubordonnés.

Un drame inquiétant se joue à côté de chez nous. Notre presse n’en parle pas.

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