Lecoultre, le surréaliste philosophe

Il y a du surréaliste chez Lecoultre, mais pas que. Echappant à la raison et à la vraisemblance, le surréalisme bâtit un univers mental onirique où triomphe la puissance de l’imaginaire. Notre peintre est surréaliste dans sa façon de juxtaposer des éléments hétéroclites, de créer l’absurde par cette confrontation. Mais Lecoultre, par ses provocations visuelles, nous fait rêver certes, mais aussi réfléchir.

Il nous présente un monde de faux-semblants et nous fait ainsi méditer sur notre temps. Dans les «territoires greffés» et ailleurs, le métal qui devient tissu, le marbre qui se transforme en fourrure nous font douter de la réalité de la matière, voire de l’identité des choses. Il nous déroute en opposant, dans la même œuvre, la minutie quasi photographique de tels sujets à des formes brutalement abstraites. Il nous décrit le monde d’aujourd’hui, avec des constructions modernes et des éclairages fluo, mais dans une certaine intemporalité comme si la vie s’en était retirée; un monde déshumanisé où les personnages n’ont guère de regard et s’échappent en silhouettes furtives.

Serait-ce donc, inspiré par une vue pessimiste de notre époque, un message de nihilisme? Non, car la maîtrise technique de Lecoultre est telle qu’il nous prouve ainsi que l’art peut nous séduire et nous sauver; une œuvre emplie de virtuosité heureuse n’est pas la victoire du vide! Et non encore, car l’humour est au rendez-vous dans la provocation même; tant que l’homme sait sourire, il n’est pas voué au néant.

Notes:

Le Musée Jenisch, parallèlement à l’intéressante exposition «Portrait, autoportrait» (ouverte jusqu’au 5 septembre), présente sous le titre «L’oeil à vif» plusieurs dizaines d’œuvres de Lecoultre, dont la création s’étale sur un demi-siècle, de 1970 à 2021. A voir jusqu’au 26 septembre.