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Ecole inclusive

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2258 26 juillet 2024

Répondant à la récente attaque du PLR suisse contre l’école inclusive, M. Borloz a défendu sa prétendue légitimité politique: «Les principes de l’école inclusive sont inscrits dans la loi. C’est l’école d’aujourd’hui. Et l’école est le miroir de notre société.»1 Nous saluons le réflexe fédéraliste de M. Borloz. Sur le fond, cette justification à la fois juridique et sociale n’est pas très convaincante. L’art. 5 de la LEO, qui affirme le principe d’égalité des chances, peut parfaitement connaître d’autres interprétations. M. Borloz omet de rappeler que l’école inclusive est aussi le produit de décennies de réflexions pédagogiques orientées par un département en mains socialistes. Les problèmes que rencontrent les élèves sont sans doute «le miroir de notre société». Ce ne sera pas le cas d’un système scolaire qui découle de choix politiques.

Il faut reconnaître le sujet difficile. Si un enfant dyslexique parvient à faire face à son trouble et à écrire correctement, l’ensemble de la communauté sortira gagnante du fait de ne pas l’avoir marginalisé – pour autant que l’intégration dans une classe spécialisée puisse être considérée comme de la marginalisation. La réflexion doit effectivement intervenir à long terme.

Simultanément, un biais évident entoure la notion d’égalité des chances dans l’école vaudoise. En cinq ans, le nombre de gymnasiens a progressé trois fois plus vite que la population2. Quant au nombre d’étudiants de l’UNIL, il a progressé de 42% en onze ans. A Neuchâtel, la progression plafonne à 5%, et à Bâle à 9%3.

Chez nous le principe d’«égalité des chances» signifie concrètement le droit pour chacun d’aller au gymnase puis à l’université. S’y ajoute la déconsidération systémique de l’apprentissage que supposent ces chiffres.

Cette vision biaisera à son tour les objectifs de l’école inclusive. La caractérise l’idée que chaque élève à problème mérite le suivi le plus individualisé possible. Par souci d’intégration, il se trouvera inclus dans le cursus ordinaire, mêlé à ses camarades «normaux». Cela va jusqu’à l’université ou des élèves bénéficient aussi depuis plusieurs années d’aménagements de leurs conditions d’examens, qu’il s’agisse de moyens techniques auxiliaires (dictionnaires, ordinateurs), de durées différentes, voire du remplacement des examens oraux – pathologiquement insupportables à certains – par des écrits.

A cette stratégie du suivi individualisé s’ajoute l’obsession générale de «l’élève au centre» que le Département promeut au moins depuis la réforme EVM 964.

Il n’y a qu’une différence d’intensité et de moyens entre la pédagogie de «l’élève au centre» et les outils de l’école inclusive. Chacune de ces approches est fondamentalement individualiste et tout concourt à ce que finalement toute l’école soit inclusive. En évoquant l’an dernier le «curseur de l’école inclusive», M. Borloz avait montré avoir bien compris ce risque que chaque élève soit finalement considéré comme atypique. L’élève «normal» est en voie de disparition.

Les faits montrent cette tendance déjà à l’œuvre. Que faut-il incriminer? le surinvestissement par leurs parents d’enfants nés de plus en plus tard? Ou l’exposition délirante aux écrans qui favorise les troubles de la mémoire, annihile les capacités de concentration, instille un niveau de stress permanent et développe une intolérance à la frustration?

On ajoutera l’immigration qui multiplie les élèves allophones. La Conférence des directeurs de gymnase vient d’édicter une directive pour leur accompagnement dans le secondaire II. Elle instaure notamment la possibilité d’une année à l’essai.

Il devient difficile, pour les élèves et étudiants ordinaires, de ne pas se sentir floués par ces différents aménagements dont ils ne profitent pas. Il faut craindre une course à l’anormalité, chez les parents d’abord, chez les élèves ensuite. Le système, encore plus que de la stimuler, ne pourra que l’accueillir à bras ouverts comme la confirmation de ses préjugés.

Cette individualisation absolue finira par nous faire oublier ce que sont l’excellence, la réussite et le mérite, voire nous faire douter qu’ils soient encore possibles. De l’autre côté, l’échec se trouve pathologisé, et considéré comme un mal à éradiquer. On affirme que personne ne devrait subir ses limitations et pouvoir aller à l’université; mais une éducation élitaire est condamnée. A moins d’interdire les cours privés, les répétiteurs et les bibliothèques familiales, cette approche approfondit les fossés sociaux.

Pendant ce temps-là, l’école se trouvera investie de la mission de soigner tous les maux de la société. Et l’insuffisance des moyens octroyés sera considérée comme la seule cause de son échec. La présence dans nos classes d’élèves aux neurones détruits par les écrans ou d’élèves allophones, tous deux pesant sur le niveau général, est d’abord un problème de santé publique et de politique migratoire, pas de système scolaire. M. Borloz ne saurait avoir la responsabilité de les affronter seuls, avec des enseignants dépassés par la tâche ou bâillonnés par l’idéologie officielle.

Notes:

1      Renaud Bournoud, «Frédéric Borloz tire le frein sur l’école inclusive», 24 heures du 21 juin 2024.

2     Félicien Monnier, «Trop de gymnasiens», La Nation n° 2230, du 30 juin 2023.

3     Exposé des motifs et projet de décret sur le plan stratégique pluriannuel 2022-2027 de l’Université de Lausanne, avril 2023, p. 9

4     Nous la dénoncions déjà dans Une école de papier, Comité contre le chambardement de l’école vaudoise (éd.), Lausanne 1996.

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