La foi en l’humanité, une chimère
Les démocraties occidentales s’inquiètent. Qu’ont-elles fait de mal pour que des régimes illibéraux, surgissant de partout, les menacent, et que monte l’extrême-droite, démocratiquement élue?
Philosophie magazine de septembre se pose la question: la démocratie, c’est quoi? L’éditorialiste Alexandre Lacroix pense que nous devons redevenir démocrates.
Selon Lacroix, la règle de saint Benoît demande aux frères de faire preuve d’hospitalité envers une personne, chrétienne ou non, qui se présente à la porte d’un monastère. Le Coran aussi, dans certaines de ses sourates, recommande aux musulmans de se priver de biens essentiels pour offrir l’hospitalité à un être humain venant du désert, assoiffé et épuisé. L’écrivain américain Jack London vit une jeunesse où sa vitalité individualiste se déchaîne; il se convertit au socialisme après avoir vagabondé dans les trains et rencontré d’anciens forts comme lui cassés par un accident, la maladie ou la misère.
La foi en l’humanité serait le point commun de ces trois situations.
Contrairement à presque tous ses confrères, Lacroix ne pense pas que la démocratie et le suffrage universel soient menacés dans la France d’aujourd’hui. Il ne craint pas un coup d’Etat fasciste, comme ils disent, mais ressent que la foi en l’humanité s’érode de toutes parts.
La foi en l’humanité nous a toujours semblé chimérique. Le concept d’humanité comprend tous les êtres humains qui existent, ont existé et existeront. L’humanité, ce sont d’abord pour nous les personnes concrètes que nous rencontrons chaque jour, que nous observons, avec qui nous parlons et que nous apprenons à mieux connaître. Suivant notre tempérament, nous avons plus ou moins confiance en certaines d’entre elles, nous nous méfions de beaucoup d’autres.
Toujours selon M. Lacroix, les politiciens sont responsables de l’érosion de la foi en l’humanité, les uns par maladresse et hypocrisie (souvenons-nous de la pique de Jean-Jacques Rousseau dans l’Emile: Méfiez-vous des cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres les devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins), les autres parce qu’ils ne perçoivent pas le divin en tout homme. Le divin, écrit d’abord Lacroix, puis il se reprend vite: disons-le de manière séculière, l’extraordinaire. Certains politiciens ne voient l’extraordinaire que dans une certaine race, une certaine nation ou une certaine classe, qui méprisent toutes les autres et cherchent à les dominer. Le mépris et la soif de domination sont les émotions les plus menaçantes pour la culture démocratique.
Nous constatons que Lacroix, malgré sa prudence laïque, a sa religion à lui, celle de la démocratie, adoration des droits de l’homme et de l’égalité en tant que dogmes suprêmes. Ceux qui n’y croient pas, dit Lacroix, ont une vision profondément différentialiste.
Nous nous rangeons parmi ces différentialistes. Nous connaissons des êtres humains qui ne se ressemblent pas, qui sont uniques, mais dont l’identité profonde nous échappe, comme du reste notre identité profonde à nous. Seul notre Créateur nous distingue parfaitement au sein de l’humanité. Les individus font partie de familles, de communes, de nations, de cultures, de l’humanité. Plus ces groupes sont étendus, plus ils sont abstraits, et moins nous nous y attachons. Nous aimons (ou détestons) d’abord nos proches.
La foi en l’humanité que Lacroix considère comme une émotion, une aspiration, serait la religion suprême? Non. Il n’y a qu’une religion vraie, le christianisme. Nous le croyons. C’est la seule religion où le monstre le plus cruel puisse demander le pardon, la seule religion qui n’ait plus besoin de bouc émissaire après que le Christ, vrai homme et vrai Dieu, s’est sacrifié pour notre salut.
On ne peut avoir foi en l’humanité depuis le péché d’Adam. L’humanité vit dans le mal, soumise à Satan, le prince de ce monde. Aucune autre religion n’y change quoi que ce soit; ni la science, ni le communisme, le socialisme ou la démocratie universelle qui entretiennent des rivalités à cause de leur prétention à atteindre une égalité inaccessible. La démocratie a aussi ses diables. Elle entre dans le cycle des sanctions, des représailles et autres vengeances.
Les grandes démocraties occidentales, Etats-Unis, Angleterre et France, connaissent des dissensions intestines sérieuses. Ne seraient-elles pas tentées par l’idée de soutenir une guerre extérieure qui ressouderait leur unité sur le dos d’un bouc émissaire? C’est une éventualité.
La démocratie humanitaire est une fausse religion, pas si encline à la paix qu’elle le prétend.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Collégialité, unité, souveraineté – Editorial, Félicien Monnier
- Fiscalité vaudoise: il faut dépasser l’anecdote! – Jean-Hugues Busslinger
- Nostalgie du brouillard – Raphaël Franzi
- Deux poids, deux mesures – Benoît de Mestral
- Le référendum des paroisses – Olivier Delacrétaz
- A propos du système de santé suisse – Claire-Marie Schertz
- C’était mieux avant? – Jacques Perrin
- Embrouille au café – Jacques Perrin
- L’art de faire semblant de ne rien dire – Le Coin du Ronchon