Collégialité, unité, souveraineté
Dans 24 heures du 24 septembre, nous déplorions les voix discordantes des conseillers d’Etat lors de certaines votations fédérales1. La récente campagne sur la biodiversité a vu Mmes Luisier et Dittli s’opposer publiquement à l’initiative tandis que M. Venizelos la soutenait. Pour dépasser ces clivages, nous appelions le Conseil d’Etat à systématiquement se prononcer – collégialement – contre les projets de lois et d’initiatives attentatoires à la souveraineté cantonale. Cela implique de ne pas tolérer l’expression d’opinions minoritaires.
M. Pierre Santschi, ancien député au Grand Conseil et fidèle lecteur de La Nation, a réagi dans le courrier des lecteurs de 24 heures: «La liberté qui figure maintenant dans nos Constitutions doit être celle des gens, qui ne passe pas par la peur et l’écrasement des minorités en les « priant» de se taire. Et si c’est par la félonie collégiale que doit passer l’indépendance cantonale du Pays de Vaud, alors que ce dernier jouisse, bien ligoté par l’ “amour des lois”, de l’irresponsabilité opaque de magistrats masqués cooptés par les partis.» A l’en suivre, la collégialité favoriserait « la corruption, la lâcheté, l’opacité et le mensonge».
Malgré son ton polémique, cette galéjade est assez classiquement démocratique. La collégialité rendrait invisibles les opinions minoritaires, dont la légitimité – fondée sur une liberté d’expression également partagée – serait pourtant égale à celle de la majorité. Toute forme de collégialité serait, à long terme, dépassée par l’alternance inhérente au régime. Autant donc ne pas s’embarrasser avec de tels principes.
C’est confondre l’expression générale des opinions politiques avec l’expression de la parole gouvernementale, qui intervient dans des circonstances précises et délimitées. En faveur des partis, cette conception scelle en plus un pacte de coquins. Le parti majoritaire s’accommodera du fait qu’une fois le pouvoir perdu ses ministres pourront toujours se profiler dans le cadre des sujets fédéraux.
Lors des votations fédérales, le gouvernement vaudois adopte à peu de choses près cette position. Au micro de Forum du 12 février 2013, sur fond de chamailleries entre Béatrice Métraux et Philippe Leuba sur la LAT, Pierre-Yves Maillard avait défendu «une pratique de la collégialité un peu plus souple qu’ailleurs». Elle permettrait d’éviter que des ministres ne s’expriment par «langages codés» lorsqu’ils veulent quand même exprimer ce qu’ils pensent. On n’est pas loin du reproche «d’opacité» et «de mensonge» de M. Santschi.
Une telle vision était encore tenable dans ce temps lointain où les compétences fédérales se limitaient à l’armée et à la diplomatie. Elle aurait témoigné d’un gouvernement vaudois sûr de ses prérogatives et conscient – à la limite du mépris - de la supériorité souveraine et originelle de son Canton sur la Berne fédérale. Aujourd’hui, chaque nouvelle centralisation en appelle une autre. Devenue outil promotionnel pour les partis, l’initiative constitutionnelle est un véritable trou noir anti-fédéraliste. Quant au Conseil des Etats, il a largement abandonné son rôle de «Chambres des Cantons».
Notre gouvernement doit appréhender le fédéralisme comme un véritable enjeu politique pour le Canton. Et non pas comme un simple mécanisme institutionnel dont on se gargarise du brillant des rouages lors de conférences intercantonales à l’autre bout de la Suisse. Toute centralisation amoindrit le Canton et vide progressivement la raison d’être de ses institutions. Chaque perte de compétence transforme un peu plus nos conseillers d’Etat en inaugurateurs de chrysanthèmes. Les discours sous cantine de cet été n’avaient de sens qu’à condition de s’adresser à de vrais citoyens vaudois, maîtres de leur destin politique.
L’expression, par le gouvernement, d’une position anticentralisatrice générale et systématique est impérative. Elle révélera qu’il a conscience du lien insécable entre vivacité de notre politique interne et souveraineté vaudoise. Cela passera par le renforcement de la collégialité du gouvernement lors des scrutins fédéraux. Les voix discordantes décrédibilisent le reste de l’action gouvernementale, à long terme comme vis-à-vis de l’extérieur. En ultime ressort, la responsabilité de l’unité incombe à la présidence, l’institution la plus personnelle de notre mode de gouvernement.
Notes:
1 Félicien Monnier, «L’unité du Conseil d’Etat à l’épreuve des votations», 24 heures du 24 septembre 2024.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Fiscalité vaudoise: il faut dépasser l’anecdote! – Jean-Hugues Busslinger
- Nostalgie du brouillard – Raphaël Franzi
- Deux poids, deux mesures – Benoît de Mestral
- Le référendum des paroisses – Olivier Delacrétaz
- A propos du système de santé suisse – Claire-Marie Schertz
- C’était mieux avant? – Jacques Perrin
- La foi en l’humanité, une chimère – Jacques Perrin
- Embrouille au café – Jacques Perrin
- L’art de faire semblant de ne rien dire – Le Coin du Ronchon