Deux poids, deux mesures
On apprend en lisant ce qui reste de la presse que Monsieur Rösti «s’immisce» dans les dossiers sensibles qui relèvent de son département1. Quelle audace! Il serait bien entendu préférable que les hommes politiques élus par l’Assemblée fédérale se contentent de discours et de photos et laissent travailler les techniciens élus par personne et embauchés par les copains.
Difficile situation que d’être conseiller fédéral: non seulement il ne faut rien faire pendant son mandat, mais il ne faut surtout rien faire après. Monsieur Maurer en a fait les frais plusieurs fois depuis qu’il a quitté son poste: il est mal vu d’émettre des regrets ou des critiques sur le passé, de soutenir une initiative populaire, ou d’entretenir ses relations avec des dignitaires étrangers2.
Monsieur Berset ne fait pas preuve de plus de retenue, au contraire: il vient de prendre la présidence du Conseil de l’Europe pour un mandat de cinq ans, mettant en avant son expérience et ses bonnes relations avec les dignitaires étrangers. Pourtant, pas de reproches dans la presse. Que l’on nous permette de ronchonner un peu pour rééquilibrer la balance.
Alors que la question de dénoncer la CEDH était au programme de l’Assemblée fédérale une semaine plus tard, on demande à M. Berset, au micro de la matinale RTS 1re du 12 septembre, si la Suisse remet la CEDH en question ou a minima le récent arrêt la condamnant «[Elle] ne la remet pas en question. Il y a des voix évidemment qui remettent en question l’existence même de tout le principe.» Le compte a été fait le 24 septembre, ces voix représentent 35% du Conseil national…
On lui demande ensuite s’il va discuter de l’arrêt en question avec ses anciens collègues: «J’ai constaté évidemment une réaction assez vive. Ecoutez… et alors? Ça crée des émotions, c’est normal.» Rien d’anormal effectivement à ce que l’effritement de notre souveraineté crée des émotions, puisqu’il s’agit de l’existence même de nos nations et de notre Confédération. Il n’est pas acceptable de balayer pareillement la réaction d’une importante partie du peuple et du Conseil fédéral pour ce prétexte. Au contraire, la violence de la réaction devrait susciter une remise en question.
S’ensuit un discours sur la légitimité de l’arrêt, décousu par les interruptions des journalistes. Le fait que des citoyens suisses sont à l’origine de la démarche y prêterait une certaine légitimité. Le respect de la démocratie et de l’Etat de droit que prône le Conseil de l’Europe passerait donc par le contournement des processus démocratiques et des voies de droit prévues par la Constitution via des juges étrangers…
On ne saurait en vouloir à un homme politique de continuer à en faire; on est rarement doué pour deux choses. Mais passer douze ans à diriger la Confédération pour attaquer sa souveraineté, à peine une nouvelle casquette enfilée, quel gâchis!
Notes:
1 24heures.ch, Albert Rösti en personne s’immisce dans les questions de tirs, 30 septembre.
2 Voir notamment le 19h30 du 22 janvier 2024 sur ses regrets sur la gestion du Covid-19, la matinale RTS 1re du 12 juillet 2023 sur son soutien à l’initiative «contre une Suisse à 10 millions», et le 12h45 du 4 mai 2023 sur une entrevue avec l’ambassadeur de Chine.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Collégialité, unité, souveraineté – Editorial, Félicien Monnier
- Fiscalité vaudoise: il faut dépasser l’anecdote! – Jean-Hugues Busslinger
- Nostalgie du brouillard – Raphaël Franzi
- Le référendum des paroisses – Olivier Delacrétaz
- A propos du système de santé suisse – Claire-Marie Schertz
- C’était mieux avant? – Jacques Perrin
- La foi en l’humanité, une chimère – Jacques Perrin
- Embrouille au café – Jacques Perrin
- L’art de faire semblant de ne rien dire – Le Coin du Ronchon