Le platisme et la décroissance
M. Timothée Parrique, économiste français, est engagé par l’Université de Lausanne pour un post-doctorat de quatre ans, voué à des recherches sur la décroissance, qui accède donc au rang de sujet d’étude académique. Il est aussi un militant, qui voudrait – à l’instar des Jeunes Verts largement défaits l’autre dimanche – que nous allégions notre empreinte écologique pour revenir au-dessous des limites planétaires. A ceux qui craignent que cet engagement perturbe sa rigueur scientifique, il rétorque: «On ne reprocherait pas à un géographe de militer contre le platisme.»
Nous ne connaissons pas les travaux de M. Parrique et n’entendons pas en faire la critique. Mais sa comparaison est bancale. La rotondité de la Terre est un fait prouvé par l’astrophysique et vérifié par de nombreux voyageurs, de l’équipage de Magellan à Bertrand Piccard en passant par Phileas Fogg. La décroissance est une orientation politique et économique, judicieuse ou non selon les opinions.
Admettons que les ressources brutes de la planète soient limitées. Mais pour les ressources élaborées, c’est une autre affaire. Le même torrent permet de moudre un peu de farine avec un moulin rudimentaire, de scier beaucoup de bois grâce à une installation plus perfectionnée, et de produire de l’énergie électrique en abondance par le jeu des retenues et des turbines. Sur le même champ poussaient quelques maigres épis dans un passé lointain, bien davantage quand on sut labourer, et bien plus encore lorsqu’on utilisa des semences sélectionnées. La production industrielle a fait un bond en avant grâce à la machine à vapeur, un autre avec l’énergie électrique; on peut s’attendre à ce que l’abondance des biens et des services se démultiplie encore par l’intervention de l’intelligence artificielle. La croissance économique n’est pas due seulement à une augmentation quantitative de l’exploitation des ressources, mais aussi (un peu ou surtout? c’est à voir) à l’ingéniosité des hommes. Sur le long terme – car il y a bien sûr des accidents, des rechutes, des échecs – cet élan créatif porte le développement matériel. Pourra-t-il aussi assainir notre monde grâce aux techniques de recyclage et de lutte contre les pollutions? C’est un petit espoir.
La croissance économique est-elle un bien ou un mal? Les deux peut-être, mais c’est un fait. La croissance, c’est la vie. Jusqu’où nous mènera-t-elle? On ne sait. L’apocalypse sera-t-elle terrible ou glorieuse? Voilà de grands mystères. En attendant, il nous appartient de soigner l’arbre de la croissance, d’en tailler les branches gourmandes et d’en savourer les meilleurs fruits.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La langue du troisième Reich – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Communes: un regard du bout du Lac – Revue de presse, Rédaction
- Décroissance à géométrie variable? – Jean-Hugues Busslinger
- L’identité suisse au défi – Jean-Baptiste Bless
- Suppression de la valeur locative: un marché de dupes? – Antoine Rochat
- Ordre et Liberté: réponse à M. Philippe Leuba – Colin Schmutz
- Dépenses de personnel de la Confédération – Jean-François Cavin
- C’est la guerre, toujours – Jacques Perrin
- Les aborigènes au pouvoir – C.
- Un chef de l’Armée ne devrait pas dire ça – Le Coin du Ronchon