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Croire sans dogmes

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1962 8 mars 2013

Dans son numéro de février, le mensuel Bonne Nouvelle s’entretient avec le philosophe Frédéric Lenoir, directeur du Monde des religions. Elevé dans la confession catholique, il s’en est éloigné. Il se dit aujourd’hui «chrétien libre-penseur» et affirme que les Eglises «ne peuvent rester figées sur les dogmes et les normes».

«Etre chrétien, nous dit-il encore, cela signifie aimer son prochain. C’est un principe de partage et de respect, que cela se fasse avec ou sans attache au christianisme.» Autrement dit, le christianisme est une spiritualité possible, un chemin parmi d’autres qu’on choisit s’il correspond à nos besoins et à nos affinités.

Quant aux dogmes, la création de l’univers à partir de rien, le péché originel et la chute, la Trinité, l’exclusivité du christ, son sacrifice pour le salut de beaucoup, sa mort et sa résurrection, son retour à la fin des temps, ils n’ont rien à faire dans ce credo minimal.

Le dogme n’est pas à sa place dans la modernité. S’il est rationnel dans sa forme, il est surnaturel dans son fond. Il échappe donc à l’investigation scientifique et, à cause de cela, se voit relégué au rang d’une croyance subjective.

C’est trop peu dire que le terme de dogme est connoté négativement dans l’esprit de nos contemporains. C’est sa légitimité même qui est contestée. Sa prétention à l’objectivité et son caractère contraignant pour l’intelligence sont en contradiction absolue avec le préjugé individualiste ambiant.

Dans «un monde en constante mutation», comme on dit, le caractère invariable du dogme choque. De fait, on ne peut le modifier que pour le compléter par une de ces précisions qu’impose parfois la malice providentielle des temps. Ainsi, le Symbole de Nicée-Constantinople développe-t-il la doctrine trinitaire pour répondre à Arius qui voit dans le christ une simple créature. Le symbole insiste et insiste encore, à la mesure de la gravité de l’hérésie arienne, sur la filiation divine du christ: […] un seul Seigneur, Jésus Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, Lumière de la Lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père.

Aujourd’hui, dogme signifie étroitesse d’esprit et sécheresse de cœur. Le dogme, c’est la fermeture à Dieu et aux hommes. C’est la prétention blasphématoire de tout savoir et d’exclure ceux qui refusent ce savoir. C’est la fin de la foi vivante, de l’imagination interprétative et de l’invention liturgique. Dire de quelqu’un qu’il est dogmatique, que ce soit en matière de religion, de politique ou d’art culinaire, c’est le dénoncer comme une brute insensible et bornée.

Il est vrai que le dogme peut devenir un ensemble de rouages qui fonctionne tout seul et dispense de réfléchir. Il est vrai encore qu’on peut en faire un objet d’idolâtrie en le considérant non comme l’écrin de la Vérité – selon le mot de M. Regamey –, mais comme la Vérité elle-même. Ce sont là des dérives. Elles sont contraires à l’esprit du dogme, qui n’est qu’une application de la raison humaine à ce que Dieu nous dit de Lui.

Il arrive aussi que l’esprit dogmatique s’étende au-delà du dogme, et que certains en usent là où s’imposerait plutôt la relative indifférence due aux choses qui passent. Ce n’est pas une tare intrinsèque du dogme, juste un débordement. Cela invite l’Eglise à dogmatiser de façon restrictive, non à rejeter le dogme.

Il est vrai enfin que le dogme exclut. Et alors? Celui qui confesse le christ va-t-il se scandaliser de ce que le dogme musulman du monothéisme absolu l’exclue du monde islamique? Au contraire, cette limitation imposée de l’extérieur le renforce. Elle lui permet de préciser le contenu de sa foi et d’en affûter l’expression. L’exclusion contribue ici à la clarté du dogme.

La question qu’on doit se poser en lisant M. Lenoir est de savoir s’il est possible de croire sans recourir à des dogmes. Nous ne le pensons pas. On ne peut exprimer une croyance sans la définir, si peu que ce soit. Et ce peu de définition, c’est déjà du dogme. Le Vaudois qui pense éviter le reproche de dogmatisme en déclarant croire à l’existence d’«une force au-dessus de nous» énonce, malgré lui, un dogme. Ce dogme est sans doute pauvre, mais la vérité n’en est pas absente: Dieu est effectivement une force au-dessus de nous. Et celui qui le professe ne doute pas de la pertinence durable de cette affirmation.

Toute affirmation religieuse se réfère, même inconsciemment, à une réalité première de type dogmatique. Il y a un dogmatisme de l’athéisme, il y a même un dogmatisme du relativisme antidogmatique. Réservons le cas de l’indifférent et – s’il existe – celui de l’agnostique qui suspend son jugement et s’astreint au doute permanent.

Le dogme est l’écho de la Vérité dans notre intelligence. C’est une quintessence de la Parole, extraite, préservée et transmise par l’Eglise au long des siècles. M. Lenoir propose assez piteusement de filtrer cette quintessence, d’en retirer tous les ingrédients qui font son originalité pour n’en conserver que quelques considérations morales et sociales rudimentaires.

Nous montrerons dans un prochain article que cette position, loin d’être libératrice, engendre le plus tyrannique des dogmatismes.

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