Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Consortiums de construction: le libéralisme contre la concurrence

Olivier Klunge
La Nation n° 1975 6 septembre 2013

L’un des paradoxes du libéralisme est que l’axiome du marché se régulant lui-même pour atteindre la meilleure efficacité aboutit en pratique à imposer aux entreprises une foule de lois étatiques et la surveillance de puissantes autorités administratives, dont on peut douter que les amendes salées qu’elles infligent aux entreprises ne soient pas répercutées sur les consommateurs; tout cela pour permettre au marché de fonctionner tout seul…

La révision de la loi sur les cartels, élaborée par le Conseil fédéral et adoptée par le Conseil des Etats1, nous propose un nouvel avatar des incohérences de la théorie économique libérale. Un nouvel article 5 déclare illicites en tant que tels, sans considération de leur influence sur la concurrence, certains accords verticaux et horizontaux. Les accords horizontaux, soit entre entreprises effectivement ou potentiellement concurrentes, sont illicites s’ils

1. fixent directement ou indirectement des prix,

2. restreignent des quantités de biens ou de services à produire, à acheter ou à fournir,

3. opèrent une répartition géographique des marchés ou une répartition en fonction des partenaires commerciaux.

Dans la construction, les entrepreneurs et entreprises générales ont l’habitude de se réunir en consortiums pour assumer certains chantiers. En effet, les maîtres d’œuvre désirent souvent n’avoir qu’un ou quelques interlocuteurs sur un chantier, alors que des dizaines de corps de métier sont nécessaires à sa réalisation. Chaque étape de la construction demande, durant un temps restreint, un engagement important de personnel spécifique qu’une seule entreprise peine à fournir. De plus, les responsabilités et risques financiers sont importants et appellent à un partage des profits et des risques. Pour les chantiers dépassant le cadre des villas jumelles, seule une poignée d’importants conglomérats sont capables d’assurer, en entreprise générale, l’entier des travaux.

Ainsi, il est fréquent que des entrepreneurs potentiellement concurrents s’allient. Pour les chantiers d’infrastructures, portant sur des milliards, même les grands groupes doivent coopérer afin d’en assumer l’exécution et les risques. Pour des chantiers plus modestes, il peut s’agir soit de petites entreprises s’alliant pour faire jeu égal avec les acteurs importants, soit d’une entreprise internationale s’alliant avec un entrepreneur connaissant mieux les interlocuteurs et réglementations locales.

Ces consortiums, permettant justement une certaine concurrence entre entreprises petites et grandes, globales et locales, remplissent manifestement tous les critères d’un accord illicite. Le projet de loi leur permet certes de renverser la présomption d’illicéité en prouvant que l’entente est justifiée par des motifs d’efficacité économique. Cependant, c’est à l’entrepreneur d’en apporter la preuve, et non à la Commission de la concurrence et c’est à lui de supporter les conséquences de l’absence de preuves.

Les entrepreneurs qui prendront désormais le risque de se constituer en consortium, même pour l’érection d’un petit immeuble locatif, pourraient se voir confrontés à une procédure judiciaire lourde, impliquant le recours à de savants experts et dans laquelle ils sont présumés coupables.

Nos parlementaires libéraux (alliés aux socialistes, qui gardent toujours le préjugé qu’un patron est par définition un profiteur qu’il convient de toute façon de punir) risquent donc, au nom de la libre concurrence, de tuer une institution de la construction en Suisse qui a permis à de nombreux petits entrepreneurs de rivaliser avec les conglomérats internationaux qui ont pris pied dans notre pays.

En guise de conclusion, nous noterons encore sur le plan juridique que cette révision législative interdisant de manière absolue certaines formes d’ententes commerciales est inconstitutionnelle, puisque l’article 96, alinéa premier, de la charte fondamentale donne à la Confédération le mandat de légiférer contre les «conséquences sociales et économiques dommageables des cartels et des autres formes de limitation de la concurrence», et non pas contre toute entente de manière générale.

Notes:

1 Cf. www.parlament.ch/f/suche/pages/curiavista.aspx, objet No 12.028.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: