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Obligation de servir: la frime de L’Hebdo

Félicien Monnier
La Nation n° 1975 6 septembre 2013

Le journal L’Hebdo fait partie des magazines qui pensent forger l’opinion. De semaine en semaine, M. Alain Jeannet, rédacteur en chef, nous offre sa professorale et péremptoire analyse de l’actualité. Le 22 août dernier, son éditorial titrait: «La grande hypocrisie». M. Jeannet nous y a fait part des réflexions les moins originales que nous ayons pu lire à propos de l’obligation de servir. Tous les poncifs y sont passés: la cyberguerre que l’on ne ferait pas, l’antiterrorisme que l’on ne prépare pas, et les brillantes idées du conseiller d’Etat Maudet, usant et abusant de son grade de capitaine. M. Jeannet dit NON à l’initiative du GSsA, mais veut réformer. Qu’il rejette l’initiative est heureux; il n’en demeure pas moins qu’il pense faux.

A la source de ses réflexions se trouve une affirmation déclamatoire: «Seul un appelé sur deux finit son école de recrue.» S’ensuit un long dossier1, mi-people, mi-bluffeur.

Le taux d’aptitude à l’obligation de servir (armée, protection civile et service civil) en 2012 a été de 75%. L’Hebdo ne devrait pas oublier qu’avec le GSsA, la protection civile passe aussi à la trappe.

L’Hebdo se plaît néanmoins à dire qu’un soldat sur deux ne finit pas son service. Que certains soldats quittent l’armée en cours de service est chose naturelle. D’aucuns se blessent, d’autres passent au service civil, d’autres partent très longtemps à l’étranger. Rappelons que blessés et expatriés paient la taxe militaire, soit 5% de leur salaire annuel. Les chiffres avancés par L’Hebdo sont toutefois faux. Ce n’est pas la moitié des conscrits qui ne termine pas son service. C’est un petit sixième (13-15%). Ces chiffres ont récemment été rappelés par le commandant des Forces terrestre Dominique Andrey.

L’Hebdo croit malin d’affirmer que l’armée suisse est, en fait, une armée de volontaires, ce que les vrais chiffres relativisent déjà fortement. Il commet ici plusieurs erreurs de réflexion. Celui qui reste ne consent pas – et de loin – l’effort de celui qui adhère. Une armée que la majorité de ses soldats ne quitte pas à la première occasion n’est pas une armée qui trouvera des volontaires.

Reconnaissons qu’il y a de la lâcheté à déployer mille ruses pour échapper au service militaire. Nous condamnons à ce propos la fierté de ceux – auxquels L’Hebdo donne complaisamment la parole – qui se vantent d’avoir échappé à une obligation constitutionnelle. Les médecins, souvent complices, devraient être sanctionnés.

C’est une autre erreur que de ne réfléchir qu’en termes individuels. Que certains tire-au-flanc profitent des faiblesses du système est inacceptable. Que les autres fassent leur service bon gré mal gré est honorable. Ceux-ci ressentent peut-être une injustice face aux menteurs; nous les comprenons. L’Hebdo fait mine de se ranger à leur côté et, justifiant une erreur par une autre erreur, veut chambouler toute l’organisation militaire suisse au nom de ses quelques dérèglements.

Osons adopter un point de vue collectif, et non pas individuel. Le principe devra alors demeurer le même. L’obligation de servir seule permet de réagir vite et fort. C’est dire combien elle est flexible lorsque le temps est au beau fixe. Elle doit être conçue comme la colonne vertébrale de la sécurité de la Confédération. Nous avons suffisamment démontré combien armée de milice volontaire et armée professionnelle étaient de dangereuses illusions.

Certes, nos effectifs ne sont plus les mêmes qu’au plus fort de la guerre froide. Cela ne justifie pas de changer de système. L’Hebdo, convaincu que l’histoire poursuit sa route vers la paix éternelle, ne peut concevoir la fin de la milice armée que comme une étape naturelle de la course du monde. L’armée suisse de 2013 trie ses recrues avec plus d’attention qu’en 1970. Les Russes étaient alors à Berlin. Les gouvernants avaient connus la peur, la vraie, celle des alarmes nocturnes, de la DCA helvétique ouvrant le feu, des Allemands à la frontière. Ceux de 2013 sont des enfants de 1968. Mais d’un point de vue politique, une milice de temps de paix, même chindée par les plus couards, reste la garantie du savoir-faire institutionnel de la milice en temps de crise aigue.

Le principe militaire de la milice doit être conservé contre vents et marées; le service militaire doit continuer à primer le service civil; la PCi doit rester la voie des inaptes partiels au service militaire. Hors de cette organisation, qui a fait ses preuves, la sécurité de la Confédération ne trouvera pas de salut. Les expériences française et allemande de suspension de la conscription montrent qu’un retour en arrière est impossible2.

C’est donc avant tout en osant se poser du point de vue de la communauté que l’on refusera un prétendu progressisme réformateur motivé souvent par des vues électorales, parfois par l’obsession du scoop d’un rédacteur en chef.

L’Hebdo peut conclure son article, et se croire original, en demandant à quoi sert encore une armée dans une Europe en paix. Nous lui demanderons simplement d’ouvrir les yeux sur l’Europe qui nous entoure, la crise qu’elle traverse et les frustrations qu’elle génère. L’avenir de cette Europe n’est guère réjouissant. A l’heure où nous mettons sous presse, la France se prépare à sa deuxième guerre de l’année…

Notes:

1 «Obligation de servir, un Suisse sur deux échappe à l’armée», dossier préparé par Kevin Gertsch et Patrick Vallélian, in L’Hebdo, 22 août 2013.

2 «La suspension du service national français», général de corps d’armée Robert de Crémier, in Servir pour être libres, Cahier de la Renaissance vaudoise n° 151, Lausanne 2013.

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