Tortues en colère
C’est avec une douloureuse surprise mêlée d’indignation que nous avons pris connaissance de l’article publié en page 3 de la présente Nation, article proposant d’approuver le projet de fonds d’infrastructures ferroviaires. Où va-t-on si notre journal préféré recommande de plus en plus souvent de voter «oui» à des objets fédéraux, calquant ainsi ses positions sur celles d’organisations économiques et patronales parfois dénoncées comme centralisatrices et anti-fédéralistes?
Entendons-nous bien: l’article en question est fort bien écrit et les arguments présentés sont rigoureusement justes et pertinents. Mais que fait-on de la mauvaise humeur légitime, à défaut d’être rationnelle, des automobilistes qui entendent le dimanche soir au télé-journal – probablement à l’heure même où le béni-oui-oui de la Nation terminait sa rédaction – un fonctionnaire alémanique de l’Office fédéral des routes expliquer aux Suisses romands qu’ils rouleront beaucoup mieux lorsque la vitesse aura été limitée à 80 kilomètres-heures sur de nombreux tronçons autoroutiers?
Mme Leuthard est-elle au courant des âneries qui se déroulent dans ses services? et si oui, juge-t-elle opportun, à trois semaines d’une votation où l’on va demander aux automobilistes de payer encore davantage pour les usagers des trains, de souligner pareillement le mépris dans lequel on tient ces mêmes automobilistes, obligés à l’avenir non seulement d’allumer leurs phares en plein soleil, mais aussi de se traîner comme des tortues anémiques sur des autoroutes confisquées par la Confédération, où, sur injonction de ce même Office fédéral des routes, ils seront amendables dès 84 kilomètres-heures?
On aimerait exhorter les citoyens qui n’auraient pas encore voté à retenir leur bulletin en attendant que la cheffe du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication clarifie sa position. Mais une telle clarification aurait-elle davantage de valeur que les promesses écrites adressées au gouvernement vaudois avant la votation sur la révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire?
La présente contribution n’a pas pour but de modifier votre vote raisonnable du 9 février prochain. Il s’agit seulement de constater que les ministres les plus médiocres finissent presque toujours par être regrettés, le jour où de pires qu’eux ont pris leur place. Et de frémir à l’idée que ce puisse aussi être le cas, plus tard, pour des ministres actuellement en fonction.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un dur combat… pour rien? – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Le marbre et la poussière – Antoine Rochat
- Fougue baroque – Jean-François Pasche
- Le sublime conduit au désastre – La page littéraire, Pierre-François Vulliemin
- Proust et la vraie vie – Jacques Perrin
- Un fonds ferroviaire payé par les automobilistes mais utile aux cantons romands – Pierre-Gabriel Bieri
- Pas à moins de trois heures de pirogue – Jean-Blaise Rochat
- Qui a écrit cela? – Rédaction
- La Suisse favorise la délinquance – Jean-François Cavin
- Aux «justes» de l’antiracisme – Revue de presse, Ernest Jomini
- Quand le combat politique va bien au-delà la politique – Revue de presse, Ernest Jomini
- Urbanisme lausannois – Revue de presse, Philippe Ramelet