Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Nos étrangers

Cédric Cossy
La Nation n° 1988 7 mars 2014

L’introduction d’un article contre l’immigration massive dans la Constitution suisse nous a suggéré une plongée dans la statistique vaudoise: qui sont les étrangers vivant dans notre Canton? Quelle est l’évolution de leur nombre et de leurs origines? Peut-on tirer des perspectives?

A fin 2013, on recensait 241 741 étrangers et 502 576 Suisses comme résidents permanents du Canton. Ce chiffre étant l’une des seules données publiées pour 2013, la suite de notre analyse se base sur les données complètes publiées pour les années 2012 et antérieures.

A fin 2012, le Canton affichait 32,8% d’étrangers, soit 232 267 étrangers (dont environ un quart nés en Suisse) et 497 766 Suisses pour les résidents permanents, auxquels s’ajoutaient 10 877 résidents non permanents, y compris 4745 requérants d’asile. Le tableau ne serait pas complet sans ajouter les 23 195 frontaliers employés sur sol vaudois à fin 2012.

Le solde naturel (naissances moins décès) des résidents suisses est de l’ordre de 300 âmes par année sur les dix dernières années et de plus de 2000 par an pour les étrangers. Il faut ajouter à cela un solde migratoire négatif (1000 départs par an!) pour les Suisses et un solde migratoire positif (+8900 par an) pour les étrangers. Ceci explique que, malgré quelque 4500 naturalisations par an, la part des étrangers croît régulièrement: elle a passé de 29,1 à 32,8% en dix ans et risque d’atteindre les 40% en 2020 si la tendance se maintient.

La population étrangère du Canton présente une structure significativement différente de celle des résidents suisses. L’espérance de vie moyenne des femmes est supérieure à celle des hommes: on compte 53% de femmes parmi les résidents suisses. Mais c’est exactement la proportion inverse qui est observée pour les résidents étrangers. Si la fraction constituée des résidents plus jeunes que 20 ans est identique entre Suisses et étrangers, la part des 20-65 ans se différencie en fonction de l’origine: 70% pour les étrangers contre 58% pour les résidents suisses. Inversement, le troisième âge est sous-représenté chez les étrangers (7,5%) par rapport aux Suisses (20%). Ces différences, liées tant au sexe qu’aux âges, sont représentatives d’une immigration constituée principalement de personnes dans la force de l’âge cherchant du travail; le regroupement familial laisse présager la poursuite de l’immigration. Remarquons que cet apport sur-proportionnel de travailleurs a permis de stabiliser le taux actifs/retraités durant les dernières années. Mais le «jeu de l’avion» que représentent nos institutions de prévoyance vieillesse (il faut de plus en plus d’actifs pour payer les rentes des seniors) risque de tourner court d’ici dix à quinze ans, lorsque les immigrés revendiqueront leur rente.

Les vagues d’immigration italiennes et espagnoles du XXe siècle sont taries. Les communautés italiennes et espagnoles rétrécissent depuis plus de vingt ans et se classent respectivement au 3e et au 5e rang en importance. Le nombre de ressortissants de l’ex-Yougoslavie s’est lui aussi stabilisé et amorce une lente réduction depuis environ cinq ans.

Avec près de 53000 ressortissants, les Portugais disposent du plus fort contingent de résidents permanents dans notre Canton. C’est aussi la nationalité présentant l’une des plus fortes croissances: si la tendance se poursuit – cette hypothèse n’est pas farfelue au vu de la situation économique portugaise – ils seront près de 70 000 en 2020. Avec un tel nombre, la communauté lusitanienne risque de se replier sur elle-même et de créer une poche difficile à intégrer. Le problème est un peu moins critique pour la communauté française, comptant 38 000 résidents et elle aussi en forte croissance: la langue commune devrait faciliter l’intégration. La palme de la croissance, enfin, revient aux anciens pays du bloc de l’Est (Pologne, Russie, pays baltes, république tchèque, Slovaquie, Ukraine…): 3400 ressortissants en 2003, 8700 en 2012, peut-être 20 000 en 2020! Leur répartition en plusieurs nationalités sera-t-elle suffisante pour éviter toute ghettoïsation?

Les frontaliers sont la catégorie d’étrangers dont le nombre a le plus augmenté au cours des dernières années. Leur nombre a plus que doublé en dix ans et obéit à une croissance exponentielle qui, si elle se maintient, devrait amener leur valeur à 40 000 avant 2020. La distribution de cette catégorie de travailleurs est très inégale selon les districts. Le nord vaudois et la Vallée, Nyon et, curieusement, le grand Lausanne en accueillent le plus grand nombre. Ces districts affichent pour l’instant des taux de chômage très différenciés. Hormis peut-être dans la région lausannoise, la plus touchée par le chômage, il serait pour le moins hasardeux d’affirmer que les frontaliers volent le travail aux résidents vaudois.

L’asile est une question marginale en termes de quotas d’immigration, puisque seules 150 autorisations ont été octroyées en 2012 pour 2254 demandes déposées. Le problème provient ici de la complexité des procédures et de leur durée (statistiquement plus de deux ans pour une décision). Signalons que le nombre de demandes est depuis 2010 reparti à la hausse, car la crise en Europe a fait perdre de l’attractivité à nos voisins de l’UE. Nombre des nouveaux demandeurs proviennent de la zone Schengen et devraient y être refoulés sans autre forme de procès. Or, il est possible que ces accords soient égratignés suite au vote de février, ce qui conduirait à une hausse du nombre de demandeurs et, par proportionnalité, de bénéficiaires de l’asile en Suisse.

En conclusion, l’évolution numérique de certaines communautés est un sujet de préoccupation: on frisera, par exemple, les 8% de Portugais résidents en 2020. Comment assimiler ce nombre et éviter des divisions dans la population résidente? Des efforts considérables d’intégration, de formation et de scolarisation seront nécessaires, que ce soit de la part de l’Etat, des Eglises officielles ou des particuliers. Un effort pour augmenter le nombre de naturalisations – nous pensons en particulier à ces 25% d’étrangers de seconde génération – doit aussi être entrepris.

Un second problème est celui de l’extension des infrastructures et de la création de logements pour accueillir ce monde. C’est certes une promesse de projets d’investissements, de création de nouveaux emplois, donc aussi un appel, économiquement justifié, à davantage de main-d'œuvre étrangère. Comment éviter que le Canton ne tombe dans un cercle vicieux?

Enfin, le solde migratoire fortement négatif pour les ressortissants suisses devrait être analysé plus en détail. Notre sentiment est que bon nombre de Vaudois de la classe moyenne sont partis se loger à des conditions raisonnables dans les districts fribourgeois proches ou dans le Chablais valaisan, devenant ainsi des frontaliers cantonaux. Cet exode devrait lui aussi faire réfléchir notre ministre des infrastructures.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: