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Guillemets

Jacques Perrin
La Nation n° 1988 7 mars 2014

Dans ces colonnes, nous constations que certaines personnes évacuent la notion de vérité sous prétexte que celle-ci est trop difficile à approcher. On ne l’atteint qu’imparfaitement, donc elle n’existe pas.

Une autre manière de mettre la vérité hors-jeu consiste à prétendre qu’elle n’est qu’un «effet de pouvoir», une interprétation du réel utile à celui qui veut consolider sa domination, un concept mis en scène par la classe dirigeante du moment.

Nous avons remarqué que les milieux postmodernes (LGBT, féministes, antiracistes, antipatriotes et mondialistes) utilisent les mots «vérité», «vrai», «nature», «naturel» avec des guillemets quand ils contestent les thèses de leurs adversaires. Les vérités qu’exprime x sont de prétendues vérités; x veut nous fait croire que ce qu’il dit est vrai, mais nous ne sommes pas dupes. Juan affirme par exemple que les femmes doivent s’occuper des enfants puisqu’elles les mettent au monde, que c’est «naturel», mais moi, Cassandra, je sais qu’il dit cela pour maintenir les filles en état de sujétion, pour les empêcher d’accéder à des tâches plus épanouissantes, parce qu’il est opposé à l’égalité homme/femme. Pour assurer la domination machiste, Juan s’appuie sur un système de «vérités» imposé par ses congénères mâles depuis des millénaires: «les femmes sont plus fragiles que les hommes», «trop douces, elles ne savent pas commander», «elles n’ont aucune profondeur», «leur cerveau est moins développé», «elles ne savent pas s’orienter dans l’espace», etc.

Les mâles hétérosexuels blancs conservateurs disposent d’une réserve d’énoncés qui leur permettent de justifier l’oppression qu’ils exercent sur le reste de la société. Les «vérités» sont relatives à une époque. D’ailleurs, il importe peu de se demander si un énoncé est juste ou faux, mais de savoir qui l’a «produit» et à qui il profite. Il n’y a pas d’interprétations plus vraies que d’autres, mais des rapports de force. Comme la force brutale n’a jamais suffi à une domination efficace, il faut que la classe dirigeante s’assure la maîtrise du discours ambiant dans les domaines religieux, spirituels ou artistiques.

Aussi est-il malaisé de discuter avec des personnes issues des milieux postmodernes. La plupart du temps, on a affaire à des sophistes prêts à faire triompher le raisonnement utile. Gilles Deleuze, un des principaux philosophes postmodernes, «nietzschéen de gauche», avouait son aversion pour le débat d’idées.

A nos yeux, la vérité n’a rien à voir avec le pouvoir. Quand le Christ dit: «Je suis le chemin, la vérité, la vie», il n’exerce aucune contrainte. Il nous invite à le suivre et nous pouvons refuser son appel, sans pour autant être malheureux ou punis en ce monde. Celui qui connaît une vérité aime à la partager. La vérité rend libre. Si la vérité sert à soutenir un pouvoir mauvais, il ne faut pas s’en prendre à elle, mais aux méchants qui gouvernent. Les dogmes chrétiens, que les postmodernes haïssent par-dessus tout, ne sont pas destructeurs en tant que tels, mais parce qu’ils tombent parfois entre des mains qui les manipulent de telle façon qu’ils fassent triompher quelque intérêt temporel particulier.

Dans cette affaire, Jean de la fontaine nous éclaire, comme à son habitude.

Un loup affamé normal, en Valais par exemple, dévorerait le mouton qu’il croise, un point c’est tout.

Dans la fable Le loup et l’agneau, le loup ne représente pas un animal mû par son instinct, mais un homme fragile. Physiquement, il domine l’agneau et n’en ferait qu’une bouchée, mais il éprouve le besoin de se justifier. Un discours doit accompagner l’exercice de la force brutale. Le loup multiplie les arguments (tu troubles mon breuvage; tu médis de moi l’an passé; si ce n’est toi, c’est donc ton frère). Ces raisons sont fausses, le loup le sait, il s’énerve et laisse apparaître la vérité: en fait, il veut se venger de la race moutonnière défendue par les hommes, qui constitue pour lui un environnement angoissant et dangereux: «Vous ne m’épargnez guère, vous, vos bergers et vos chiens.» il suffit que l’agneau, innocent, soit apparenté à ceux qui pourchassent les loups depuis des siècles pour mériter d’être mangé «sans autre forme de procès».

Le loup est comme un postmoderne qui a besoin de phrases pour justifier une vengeance. Au cours de la discussion, les arguments solides de l’agneau ne pèsent pas lourd, leur vérité importe peu; ce qui compte, c’est de s’imposer. Il n’y a ni débat ni souci de justice.

Dans le combat mené par les postmodernes contre les traditionalistes, la vérité des arguments ne compte pas. Seule la victoire a du prix. Les modernes, eux, formés par les sciences de la nature, avaient encore le souci du vrai – c’est ce qui les distingue des postmodernes.

La loi du plus fort est toujours la meilleure. Comme elle se déploie de nos jours sur le terrain médiatique, les postmodernes sont devenus les princes de la communication. Ils se moquent de savoir si «leurs éléments de langage» sont vrais ou faux, du moment qu’ils servent à ébranler les autorités en place en imposant de nouvelles «valeurs».

Parmi les postmodernes qui aiment à évacuer la vérité, il faut distinguer les mous des durs. Le mou a intériorisé l’idée que le vrai est une interprétation parmi d’autres, destinée à contraindre autrui. Comme il est gentil, il ne veut blesser personne et évite d’avoir l’air de «détenir» et d’«assener» une vérité à prétention universelle. Il ne dira pas, par exemple: «les hommes et les femmes sont égaux en toutes choses», mais: «Je pense que les hommes et les femmes sont égaux en toutes choses; c’est mon avis, et pourtant je conçois très bien qu’on puisse penser autrement.»

Le dur ne prend pas autant de précaution, ses affirmations sont carrées, il veut l’emporter. Relativement à la notion de vérité, une ambiguïté demeure en lui. Le dur est gouverné par un appétit de vengeance, comme le loup de la fable. Ce dernier est un animal «plein de rage», victime d’une traque incessante. Il n’est pas honorable d’être accablé d’une passion triste. Aussi le loup cherche-t-il des raisons pour expliquer son état, camoufler sa honte. C’est aussi le cas de certains milieux minoritaires longuement persécutés dans le passé. Ils parent leur appétit de revanche de toutes sortes de phrases. Ils se moquent d’abord de la notion de vérité, occupés qu’ils sont par la perspective de dominer à leur tour. Tant que la vérité établie n’est pas la leur, ils lui mettent des guillemets. Puis, dès que la situation se modifie en leur faveur, ils ôtent les guillemets et deviennent des maîtres féroces, résolus à punir ceux qui s’écartent des nouveaux dogmes. Qu’on pense à la rage de produire des lois antiracistes, antisexistes, antihomophobes…

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