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Ils ont osé

Ernest Jomini
La Nation n° 1999 bis 22 août 2014

La majorité des membres du Grand conseil de Thurgovie, sensibles aux soucis des parents et aux constatations pédagogiques de beaucoup d’enseignants, vient de décider, contrairement aux directives d’Harmos, que l’on enseignerait le français comme seconde langue étrangère, non plus au primaire, mais seulement au degré secondaire. Quelle audace!

Ce vote a déclenché immédiatement les réactions indignées de tous ceux qui n’admettent pas que l’on puisse remettre en question les prescriptions des technocrates de l’enseignement auteurs des directives d’Harmos. On connaît le refrain: en n’enseignant pas le français selon les directives prévues, on détruit «la cohésion nationale»; ce mythe étant bien entendu plus important que les problèmes des élèves et des enseignants pourtant reconnus par M. Beat Zemp, président de la Fédération des enseignants alémaniques (LCH). Et déjà on appelle à hauts cris l’intervention de la Confédération pour contraindre les cantons, en invoquant la loi sur les langues qu’on va modifier à cet usage. Une gueuserie fédérale de plus: l’article constitutionnel sur les langues et la loi qui en découle n’ont jamais été conçus comme un moyen pour la Confédération d’attenter à la souveraineté des cantons en matière scolaire. Mais qu’importe: tous les moyens sont bons pour imposer l’idéologie de la «cohésion nationale» héritée du XIXe siècle et qui depuis longtemps sent la naphtaline.

Les Romands, qui s’enflamment bêtement pour cette cause qu’on leur présente comme la défense du français, devraient réfléchir à deux fois. Confier à la Confédération de nouveaux pouvoirs en matière scolaire, n’est-ce pas s’exposer un jour, peut-être pas très lointain, à une initiative ou une loi fédérale obligeant les petits Romands et Tessinois à subir des cours de schwyzertütsch indispensables à l’affermissement de la «cohésion nationale»?

Le parti socialiste suisse n’a pas raté l’occasion. Avant même la décision thurgovienne, il organisait le 5 août dernier une conférence de presse à Berne pour réclamer une intervention fédérale contre les cantons récalcitrants. Non pas que la «cohésion nationale» lui tienne à cœur plus qu’à d’autres partis. Mais les idéologues du parti à la rose ont fort bien discerné tout l’intérêt politique qu’il y a à permettre à la Confédération de s’immiscer enfin dans le domaine scolaire, jusqu’ici réservé à la souveraineté cantonale. Car cette intervention fédérale ne sera qu’un premier pas.

Il reste beaucoup à faire pour imposer les dogmes de la modernité en Suisse. Ce qui demeure de l’enseignement traditionnel et chrétien dans les cantons de la Suisse centrale et orientale ainsi qu’en Valais et à Fribourg, grâce à la souveraineté cantonale en matière scolaire, fait obstacle aux progrès de la religion moderniste souvent prônée par les penseurs du parti.

Ah! Si Berne pouvait enfin imposer à toute la Suisse les cours d’éducation sexuelle purement techniques et débarrassés des tabous moralisants! Et le dogme de la laïcité: il y a encore des classes dans certains cantons où l’enseignement chrétien a sa place et où le crucifix est accroché au mur. Quel scandale! La Confédération doit intervenir. Et quelle avancée décisive pour l’instauration du dogme de l’égalité quand toutes les écoles suisses enseigneront que l’homosexualité est égale à l’hétérosexualité. Il est temps que les maîtres doivent exposer à leurs élèves la théorie du genre, comme le font leurs collègues de la grande République socialiste voisine d’outre-Jura. A toutes ces conquêtes de la religion moderne, les pouvoirs cantonaux font obstacle. Quelle avancée politique si l’on parvient déjà à ouvrir une brèche dans la souveraineté scolaire cantonale dans le domaine des langues! Cette intervention fédérale en appellera d’autres.

Que vont faire les autres partis? Les politiciens romands, qui s’imaginent que le français est menacé parce que les petits Thurgoviens ne l’apprendront qu’à l’école secondaire, ne semblent pas pour la plupart discerner le danger de cette atteinte à la souveraineté cantonale. Nous avons retenu à cet égard cette déclaration surprenante du conseiller d’Etat valaisan Oskar Freysinger qui s’insurge contre la décision thurgovienne: «C’est une trahison des valeurs que nous défendons à l’UDC… C’est idiot parce que ce pays est aussi solide qu’il est fragile. Si le fédéralisme n’est plus consolidé dans l’unité à travers la diversité, le pays est menacé dans sa cohésion nationale» (cité par M. Ph. Castella dans La Liberté du 14 août). Bel exemple de langue de bois! On a connu M. Freysinger mieux inspiré. Probablement n’a-t-il pas encore discerné la tactique politique à long terme que cache cette affaire.

Y aura-t-il à l’UDC, au parti libéral radical ou au PDC (où il devrait bien y avoir encore deux ou trois parlementaires catholiques et fédéralistes) des hommes politiques pour s’opposer à la manœuvre que le conseiller fédéral Berset et ses coreligionnaires politiques s’apprêtent à mettre sur pied? Ils sauvegarderont ainsi la bonne entente confédérale dont la souveraineté cantonale est la condition nécessaire.

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