Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

L’irréductible pasteur Goll de Frank Bridel

Jean-Jacques Rapin
La Nation n° 1999 bis 22 août 2014

En dépit de tout bon sens, de tout sentiment réaliste, de toute justice, de toute idée chrétienne, un peuple entier a été rendu responsable des exactions commises par une bande de criminels, à l’aide de moyens de terreur, de mensonges et de provocation.

Wilhelm Furtwängler:
Carnets 1924-19541

Le temps est venu que le voile se lève sur les actes de résistance au nazisme qui se sont produits en Allemagne. Nous avons rappelé ici même, le 4 octobre 2013, les fortes paroles de Winston Churchill saluant l’existence de ces «… hommes qui luttaient, sans l’aide de l’intérieur et de l’extérieur, uniquement poussés par l’inquiétude de leur conscience», dont les noms vont de Dietrich Bonhoeffer, pendu en avril 1945, Martin Niemöller, «prisonnier personnel de Hitler», déporté à la même période, à Claus von Stauffenberg, fusillé après l’attentat manqué du 20 juillet 1944 contre Hitler.

Dans ce domaine, encore peu connu et trop souvent mal perçu, le dernier ouvrage de Frank Bridel, L’irréductible pasteur Goll - Combattant de la foi sous la terreur nazie2, apporte un nouveau témoignage d’une rare puissance. Son origine étant due à une étrange rencontre, elle vaut la peine d’être contée: Frank Bridel reçoit un jour un appel téléphonique d’un inconnu, du nom de Hans-Walter Goll. Intéressé par la lecture de ses livres, celui-ci souhaiterait lui présenter le récit qu’il vient de publier de la vie de son père, le pasteur Werner Goll3. Le contact s’établit alors entre les deux hommes. Il ne tarde pas à devenir toujours plus étroit et porteur de sens. En effet, Frank Bridel, membre d’une vieille famille libriste vaudoise, héritier par là d’une tradition marquée par son engagement chrétien, vient de rencontrer sur son chemin le récit poignant d’un pasteur de l’Eglise confessante d’Allemagne! Celle-là même qui a vécu de 1933 à 1939 les années d’une lutte des plus tragiques. Interpellé par cet appel – un signe du destin? – il décide alors d’apporter sa contribution à la diffusion d’un tel témoignage en lui consacrant un ouvrage en français.

Frank Bridel vient d’accomplir une tâche qui l’honore, qui dépasse la simple évocation d’une existence hors du commun. Partant de l’ouvrage publié par le fils du pasteur – qui a travaillé d’après les archives de la Thuringe – il s’appuie sur les études concernant cet objet et en tire une excellente synthèse. Il crée ainsi la toile de fond indispensable pour évoquer, dans leurs grandes lignes, l’histoire de l’Allemagne de 1919 à 1945, la vie sous le IIIe Reich, les résistances laïques, civiles et militaires, et le climat terroriste de plus en plus pesant dès 1933. L’Eglise allemande vit alors une crise profonde, partagée entre une faction favorable au régime, publiquement soutenue par Hitler, et, opposée à elle, l’Eglise confessante, œuvre d’une collectivité d’où se détachent les noms de Karl Barth, Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer.

C’est ce que va vivre Werner Goll, dans sa chair et dans son esprit. Il est né en 1911, à Gera en Thuringe, d’une famille à forte empreinte calviniste dont les ancêtres sont des réfugiés huguenots, un trait qu’il revendiquera avec fierté. Après une maturité classique – latin, grec, hébreu –, sa vocation pastorale se confirme et il fréquente les universités de Halle, Erlangen, Iéna et enfin de Bonn, où il termine ses études, marqué par le grand théologien bâlois Karl Barth. Les circonstances déterminent Werner Goll à passer un examen pratique, précisément dans le cadre de l’Eglise confessante, et à choisir ainsi une voie hérissée des pires difficultés, qu’il suit de 1933 à 1939, en devenant pasteur de paroisse dans le village agricole de Metzels. C’est là que sa ferme assurance, sa foi et sa solidité de caractère vont lui permettre d’accomplir son ministère au travers des mesures les plus aberrantes et les plus vexatoires – comme les interdictions de prêcher à l’église ou au cimetière – mais où, malgré les persécutions, la paroisse reste étonnamment vivante, agissante et même grandissante.

Pourtant, lorsqu’à la veille de la Deuxième Guerre, une gigantesque croix gammée illuminée est dressée sur une colline, remplaçant la croix du Christ pour fêter les cinquante ans de Hitler et que les pasteurs de Thuringe vont prêter serment au Führer et au Reich, Goll sent le danger grandir. Il doit s’inquiéter de son propre sort. Après une interrogation douloureuse – peut-il et doit-il abandonner sa paroisse? –, il décide d’entrer volontairement dans la Wehrmacht, car il sait que l’armée ne demande pas à ses soldats quelles sont leurs convictions politiques et religieuses. Fourrier d’une batterie d’artillerie qu’il suit sur ses divers champs d’opération, sur le front de l’Est, en Corse, en France ou en Italie, Goll remplit sa tâche militaire sans oublier ses obligations pastorales. Mais rapidement aussi, il prend conscience de la défaite inéluctable qui attend les troupes du Reich. Ainsi, en France, en Touraine, Goll est-il logé quatre mois chez un abbé d’origine corse, futur héros de la Résistance française, avec qui le partage des idées et des convictions ne tarde pas, renforcé qu’il est chaque soir par l’écoute de «Radio Londres»!

Mais c’est après la capitulation italienne de septembre 1943 et le débarquement allié que, déplacé avec son unité dans la région de Gênes, Goll est confronté aux «Oradours italiens», commis par la Wehrmacht contre les partigiani et la population civile. Les exactions sont d’une telle cruauté que le pasteur Goll prend la décision suprême de quitter la Wehrmacht (l’armée de son pays) pour rallier les résistants italiens! Une décision gravissime qui aurait pu lui coûter la déportation, la torture, la mort, dont on peut imaginer à quel point elle a dû lui être difficile à prendre, à cause du cas de conscience qu’elle représente. On comprend que Goll ait caché longtemps cette désertion, suivie de son passage à la résistance armée italienne, et qu’il ne s’en soit ouvert qu’à son fils, en le faisant signer un engagement de garder l’événement secret jusqu’à sa mort. Il prévoyait ainsi que l’Allemagne serait longue à faire un retour sur elle-même, puisque ce n’est qu’en septembre 2009 que le Bundestag vote le dernier texte législatif prévoyant la réhabilitation des adversaires du régime nazi. Une décision que Werner Goll, décédé le 11 mai 2003, ne connaîtra pas.

Après douze ans d’oppression politique et de servitude militaire, Werner Goll peut enfin réaliser, dès 1945, sa vocation pastorale dans une Eglise libérée, à Coblence tout d’abord, puis durant vingt-huit ans à Sarrebruck. Une fin de vie où, comme pour absoudre un passé si lourd, il tient à encourager la réconciliation franco-allemande en favorisant des rencontres entre jeunes des deux pays.

Notes:

1 Editions Médecine et Hygiène, 3e édition, Genève, p. 74.

2 Editions Ampelos 2014.

3 Hans-Walter Goll, Kirchenkampf in Metzels und anderswo (1933-1939), Ein Einblick in die Thüringer Bekennende Kirche in den Jahren des Natinalsozialismus, Editions hwg.ch, Jenins 2012.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: