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Arroser le sable

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2011 6 février 2015

Depuis la décision de la Banque centrale européenne de créer plus de mille milliards d’euros pour relancer l’économie européenne, les cafés du commerce ne désemplissent pas. Les habitués y déversent des tombereaux de commentaires de tous genres, scientifiques, complotistes, prophétiques. Les moins extravagants ne sont pas ceux des économistes, ces astrologues qui expliquent tout, ne prévoient jamais rien et tombent dans tous les puits que le monde réel ouvre sous leurs pas.

Aussi ne voyons-nous pas pourquoi l’éditorialiste de La Nation, notoirement incompétent en matière financière, s’interdirait d’y aller de ses propres vaticinations.

Si nous avons bien compris, la BCE agira donc par le biais d’un rachat aux banques d’une partie des dettes souveraines des Etats européens en leur possession. Les banques mettront les liquidités ainsi obtenues à la disposition des entrepreneurs qui en auront besoin (à moins qu’elles ne les investissent en Amérique!). Soulignons que la BCE n’a pas besoin d’imprimer un seul euro, juste d’ajouter quelques zéros dans la bonne colonne. C’est la manière moderne de faire «tourner la planche à billets».

On dit que la monnaie est un signe, mais un signe de quoi? Autrefois, la monnaie en circulation représentait les réserves d’or des banques nationales. La monnaie d’aujourd’hui représente plutôt la capacité d’un Etat à produire des biens, ou encore la tenue et l’équilibre de son économie.

Si l’on constate dans un pays une capacité d’inventer et un certain savoir- faire, une envie de travailler et de produire, s’il existe un parc de machines en bon état, s’il existe une demande pour ce qu’elles permettent de fabriquer mais qu’il manque simplement les capitaux de départ, la planche à billets ne tournera pas dans le vide. Les unités monétaires créées seront adossées (chaque fois que j’utilise ce terme, je me sens plus savant) à une richesse en puissance. Elles acquerront leur rôle de signe authentique au fur et à mesure de la reprise économique.

Si une terre est desséchée, mais pleine de graines, il n’est pas artificiel de l’arroser pour lancer la germination.

Y a-t-il encore des graines dans la terre qui s’apprête à recevoir l’argent de la «relance»? La Grèce a déjà reçu 270 milliards à ce titre. Cette masse inimaginable d’argent n’a pas engendré la moindre relance, mais au contraire une dette de 318 milliards (en tenant compte de la réduction considérable déjà consentie par l’Union européenne) et une aggravation générale de sa situation économique. Cela devrait poser quelques questions de fond aux membres de l’Union.

Mais on oublie. L’oubli est l’une des clefs de la survie du système. On se dit à chaque fois qu’on repart à zéro et que cette fois, c’est la bonne. Et cette idée plaît au peuple, pour lequel une promesse est déjà un début de réalisation.

De toute façon, on ne change pas une idéologie qui perd. On se contente de la durcir et d’en accélérer la mise en œuvre. C’est vrai pour la réforme scolaire, c’est vrai pour la centralisation politique, c’est vrai pour l’économie de marché. Le crispant M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a d’ores et déjà averti M. Alexis Tsipras: «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens!» En d’autres termes, nous ne vous laisserons sortir de l’ornière qu’à notre façon.

L’argent ne crée rien par lui-même. La part des mille et quelques milliards qui reviendra à la Grèce, si le mécanisme fonctionne, n’arrosera que du sable. Cette poussière stérile absorbera les montants les plus fabuleux sans rien donner en échange. Elle pourrait en absorber mille fois plus, je veux dire un million de milliards (trois zéros de plus dans la bonne colonne), avec le même résultat.

Proposant de réduire de moitié la dette publique de la Grèce, le banquier Mathieu Pigasse a eu cette phrase hallucinante (pour un non-économiste): «Comme l’argent a déjà été sorti, cela n’aura aucun impact budgétaire réel […]. Le seul impact est un impact comptable.» Il est vrai que la Banque Lazard, dont M. Pigasse est l’un des directeurs, conseille la Grèce pour la gestion de sa dette. Autre «impact comptable»!

La prodigalité illimitée de la BCE défait le lien entre l’euro et la réalité économique. La production et la distribution de cette monnaie fonctionnent désormais selon une logique purement interne. L’euro ne s’adosse plus qu’à lui-même. N’est-ce pas la conséquence ultime de la première erreur, qui fut de recourir au même signe «euro» pour représenter unitairement des Etats prospères, des Etats brinquebalants et des Etats exsangues?

Les bureaucrates en roue libre qui «conduisent» l’Union européenne craignent par-dessus tout de déclencher un effondrement général en arrêtant leur production de faux billets.

N’ayant aucune solution, ils imposent à tous une fuite en avant éperdue et brutale.

 

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