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Chers djihadistes,

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2011 6 février 2015

Où êtes-vous? Dans le vert Paradis d’Allah ou en quelque Enfer imprévu? Malgré l’incertitude quant à l’acheminement de ce courrier, je prends le pari qu’il atteindra ceux à qui il est destiné.

Dans les médias surchauffés par votre carnage, on entendit abondamment parler de «liberté d’expression», de «radicalisation», d’«islamisme», de «laïcité», sans compter le pathétique slogan de la bonne conscience paniquée: «Pas d’amalgame.» Or un mot capital a échappé à la plupart des commentateurs. Il n’y a pas lieu de s’en étonner; ce mot, qui fleure bon les époques révolues, a déserté le vocabulaire de nos contemporains: il s’agit de l’honneur.

Quand vous avez crié: «L’honneur du Prophète est vengé!», et qu’on a lancé nonante mille poursuivants à vos trousses, on aurait pu se croire dans un très bon scénario de cape et d’épée. J’ai toujours admiré le récit de Cyrano de Bergerac quand il défait cent bretteurs et autres spadassins à la Porte de Nesle. Certes, vous ne pouviez pas espérer une victoire contre une meute presque mille fois plus puissante en nombre; mais quelle gloire de mobiliser une telle armée contre deux. Il vous restait le baroud d’honneur en sortant de votre forteresse, issue fatale inévitable, mais non dépourvue de panache. Des hommes qui acceptent de mourir pour une cause, quelque discutable qu’elle soit, méritent d’être salués chapeau bas… En fait, pas toujours.

Malgré vos évidentes qualités, vous avez tout foiré, et cela dès le début. Vous auriez dû savoir qu’il est impossible d’espérer l’adhésion des gens de bien en abattant par surprise des personnes sans armes, assises autour d’une table. Après l’horreur de cette tuerie, vous vous êtes permis la pire ignominie en achevant un ennemi à terre qui demandait grâce. Même les sportifs savent que ça ne se fait pas. Fair play, disent-ils. C’est la version moderne et édulcorée du sens de l’honneur chevaleresque, de la générosité que l’on doit à un adversaire en position de faiblesse. Il paraît que les ours aussi pratiquent spontanément cette attitude.

Hélas, vos modèles n’étaient pas les mousquetaires d’Alexandre Dumas, ni même les robustes et sains plantigrades des Pyrénées, mais le garçon boucher de Massacre à la tronçonneuse. C’est d’autant plus désolant que chez vous la fibre était plutôt saine. Toute âme bien née partage les mêmes dégoûts que vous: Mahomet prosterné cul nu avec une étoile dans le fion, les enculades de curés, les misérables petits blasphèmes à répétition, qui peut rire de ça? Au lieu que cette ordure soit interdite au simple motif de sa vulgarité, elle exige le consentement universel. Les auteurs sont placés sous protection policière officielle pour garantir leurs privilèges. Normal, c’est «le cœur de la France», selon le président de la République.

Les bêtises des vieux ados mal élevés de Charlie auraient pu recevoir un châtiment proportionné: un entartage, du goudron et des plumes, une fessée publique. Vous auriez scandalisé les bien pensants du régime et mis les rieurs de votre côté… Non? Je comprends: pour vous il ne s’agissait pas de galéjade mais d’un point d’honneur. En ce cas, vous auriez pu provoquer les responsables en duel, à la loyale: «Charbonnier, sors de là, si tu es un homme!» Deux pistolets, deux témoins et, pour finir, un cadavre fumant sur le trottoir nous auraient renvoyés aux fastes de la gentilhommerie.

Malheureusement pour vous et pour nous, vos maîtres ne vous ont pas fait lire Le Cid, Cyrano ou Les Trois mousquetaires. Mauvaise éducation. Quand vous fréquentiez l’école, la pédagogie avait d’autres priorités que de vous faire aimer la littérature. Vous êtes nés dans un pays de très ancienne culture, le pays de Villon, de Molière, de Rameau, de Gauguin, de Camus, de Ravel, le vrai «cœur de la France»… et vous êtes restés profondément étrangers au génie de cette civilisation. C’est pourquoi vous avez été pires que des bêtes sauvages. Vous avez ajouté le désordre de votre barbarie à celui de notre décadence.

Veuillez recevoir, chers djihadistes, mes salutations attristées,

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