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Cyberdéfense: des chars et des ordinateurs

Félicien Monnier
La Nation n° 2016 17 avril 2015

Tout conflit finit par devenir territorial. Sans la maîtrise physique du territoire, même les frappes les plus chirurgicales perdent leur efficacité. Le non-respect de ce principe par Nicolas Sarkozy a créé l’actuel désastre libyen. M. Hollande rachète au Mali les erreurs de son prédécesseur.

Le président Obama a souvent dû rassurer l’opinion publique, affirmant qu’il n’y aura pas d’hommes au sol dans le combat contre l’Etat islamique. En démocratie, la hantise de l’enlisement et de la guerre impopulaire accompagne celle de la non-réélection. S’y ajoute une méconnaissance du fait guerrier. Clausewitz n’a pas cessé de rappeler que dans la guerre règne l’incertitude. Admettre qu’une guerre sera obligatoirement longue, territoriale et à l’issue incertaine demande un grand effort.

En Ukraine se joue un cas d’école de ce que les penseurs militaires appellent une «guerre hybride». Celle-ci mêle aux stratégies conventionnelles les tactiques de guérilla. On y assiste au recours conjoint à un très haut niveau technologique et à des capacités tactiques rustiques. Les belligérants et leurs alliés y ont massivement recours à la cyberguerre. Elle est le nouveau moyen de porter des coups à l’adversaire sans engager de moyens sur place.

Aux espaces stratégiques traditionnels s’ajoute donc le monde virtuel. La Military power revue, revue du Département fédéral de la défense, donnait en 2011 la définition suivante du cyberespace: «Espace d’opération dans lequel des données sont saisies, sauvegardées, retransmises, retravaillées, ordonnées, codées, interprétées et appliquées dans des actions physiques». Cette définition affirme l’interdépendance entre ce cyberespace et notre monde quotidien, physique.

A titre d’exemple, la conception de cet article aura exigé au moins un coup de téléphone, la visite de plusieurs sites internet, l’utilisation d’un ordinateur et d’une imprimante, l’envoi d’une demi-douzaine de courriels et enfin le fonctionnement d’une machine d’imprimerie sans doute connectée par wi-fi. Et que dire de la distribution de cette Nation ? Presque chaque étape aura été marquée par l’usage du cyberespace.

Car nous sommes tous des acteurs de ce nouvel espace. Echappant en grande partie au contrôle des Etats, il se développe à une vitesse exponentielle. Des informaticiens isolés y côtoient les ingénieurs de la Sillicon Valley. Notre ordinateur, notre portable ou même certains de nos frigidaires peuvent, à notre insu, servir de relais à une attaque cybernétique de grande ampleur. La récente attaque de TV5 Monde par le cybercaliphate a permis à l’EI de frapper dans nos salons. La multiplicité des acteurs du cyberespace oppose à nos communautés une multitude de menaces, d’intensité variable.

A l’occasion de notre Entretien du mercredi 1er avril, le colonel EMG Gérald Vernez, délégué du chef de l’armée à la cyberdéfense, nous a livré l’appréciation de la menace établie par l’armée. Ces menaces se classent selon leur objectif et leur intensité.

Tout comme des taggeurs dans la rue, des petits hackers peuvent faire apparaître un clown grimaçant sur notre écran d’ordinateur.

Tout comme un cambrioleur volant les plans papier d’un prototype, un cyberpirate peut dérober des informations, les revendre à la concurrence.

Tout comme n’importe où sur la planète, des Etats peuvent mener des attaques d’une violence inouïe aux effets comparables à ceux d’une frappe aérienne. En 2011, le vers informatique Stuxnet a attaqué la fréquence de rotation de centrifugeuses iraniennes, soupçonnées enrichir de l’uranium militaire. Un millier d’entre elles a surchauffé, mais le système continuait d’indiquer aux techniciens que tout fonctionnait à merveille.

La Suisse a décidé de se prémunir contre les cyberattaques. Sous la conduite du Département des finances, la Confédération a développé ces dernières années une stratégie, plutôt complexe, qui donne la part belle à l’économie. Celle-ci est chargée de se défendre à son niveau contre les menaces de faible à moyenne intensité. Au niveau individuel et avec leurs anti-virus, nos ordinateurs participent également à l’effort de défense.

L’armée compte quant à elle quelques spécialistes – en nombre insuffisant – chargés d’évaluer la menace, d’établir des processus de prévention et de défense en interne, de faire de la formation. Si cette unité doit être capable de répliquer à une attaque, elle doit aussi assurer la capacité de l’armée à combattre malgré les dangers cybernétiques.

Une part importante de l’opinion suisse prétend que seule la cyberdéfense compte aujourd’hui. Il est juste d’y porter une grande attention, mais l’obsession de certains politiciens semble relever du même mal que celui qui empêche nos voisins de mener leurs guerres jusqu’au bout: la crainte de faire face à la vraie nature de la guerre, son incertitude qui floute le jugement, sa territorialité qui tue. D’autres, moins honnêtes, dissimulent leur antimilitarisme de principe derrière la cyberdéfense.

Le microprocesseur seul, pas plus que le bombardier seul, ne suffit à gagner une guerre. L’expérience la plus récente a montré combien le chaos – provoqué par hypothèse par une cyberattaque – ne faisait pas taire les armes. Au contraire il en démultiplie la violence. Lorsque les grandes surfaces seront vides, que la compagnie d’électricité ne délivrera plus de courant, que les services industriels ne feront plus couler nos robinets, nous aurons besoin d’une armée, avec des chars, des fantassins… et des ordinateurs.

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